Les élections législatives passées, le plus dur commence pour la chancelière. Le SPD dans l'opposition, Angela Merkel n’a plus d’autre choix pour gouverner que de s’allier aux Libéraux et aux Verts. Une coalition qui s'annonce mouvementée tant les positions de ces deux partis semblent éloignées sur plusieurs dossiers importants...
Un nom surprenant pour un gouvernement allemand !
Depuis plusieurs jours, la coalition “Jamaïque” est au coeur de toutes les discussions. Le terme surprend beaucoup la presse étrangère qui s’interroge: “que vient faire la Jamaïque au Bundestag allemand ?” L’expression a été utilisée pour la première fois le soir des élections législatives de 2005. A quelques minutes d’intervalle, les journalistes de la ZDF et de la WDR, Helmut Markwort et Jörg Schönenborn, évoquent une coalition Jamaïque pour désigner une possible coalition CDU-FDP-Verts., Dans le système politique allemand, la couleur noire est associée à l’Union chrétienne-démocrate (CDU-CSU), la couleur jaune aux Libéraux du FDP et la couleur verte au parti écologiste. Ces trois couleurs correspondent aux couleurs présentes sur le drapeau de l’Etat insulaire, la Jamaïque.
Environnement: les Verts ne feront aucune concession
En ce qui concerne l’environnement, les Verts affirment qu’ils ne feront aucune concession. La co-tête de liste du parti, Cem Özdemir, précise: “je ne signerai aucun contrat de coalition qui ne garantit pas un projet en faveur de la protection du climat”. Les Verts ont axé leur campagne autour d’un objectif: la sortie du charbon pour 2030 et la disparition des moteurs à combustion. A partir de 2030, seules les voitures électriques seront encore commercialisées. Pour les Libéraux du FDP, ce projet est irréalisable. Christian Lindner a répondu à Cem Özdemir: “En 2030, avec quoi vas-tu recharger ta Tesla si tu n’as plus d’usines à charbon ?”. Katrin Göring-ckardt des Verts a interpellé en direct les Libéraux: “la question de l’écologie nous divise en de nombreux points”. Christian Lindner a rétorqué: “Elle ne nous divise pas”. Selon lui, les Verts ont une approche beaucoup trop “idéalisée” de l’écologie alors que les Libéraux préfèrent une approche fondée sur “l’économie de marché”.
Nombreux divergences autour de l’immigration et politique intérieure
Il existe également de nombreux désaccords autour de l’immigration et de la politique intérieure. Et là, ce ne sont plus trois partis qui négocieront mais quatre. En matière de politique intérieure et d’immigration, la CDU doit composer avec son allié bavarois. La CSU souhaite l’installation de caméras de surveillance dans la rue. Horst Seehofer, le chef du parti, exige également que les autorités allemandes aient accès à des données protégées. Impossible selon les Verts qui voient dans ces propositions une atteinte à la vie privée. La CSU veut aussi que la présence policière soit renforcée partout en Allemagne mais principalement aux frontières. Sur l'immigration, les Bavarois ont pris depuis 2015 leurs distances par rapport aux positions de la CDU. Seehofer et Hermann, deux figures phares de la CSU, ont critiqué à de très nombreuses reprises la politique d’immigration d’Angela Merkel. Seehofer souhaite que l’Allemagne n’accueille pas plus de 200 000 réfugiés par an. Pour la chancelière, un plafond n’est pas une option. La chancelière a affirmé qu’elle ne changerait pas ses positions en matière d’accueil des réfugiés. Pour l’euro-député FDP Lambsdorff, cette proposition n’est pas une solution car elle va à l’encontre dès règlements européens. Selon lui, "on ne peut pas parler de politique d’accueil avec des chiffres”. Les Libéraux veulent une réforme du droit d’asile, en prenant en exemple la loi canadienne: les réfugiés seront sélectionnés en fonction de leur âge et de leurs qualifications. La nouvelle loi doit encadrer la durée de leur visa: les réfugiés devront retourner dans leur pays quand la situation politique le permettra. Les Verts écartent toutes ces propositions qui ne permettent pas une réelle intégration des réfugiés.
Une alliance inédite au Bundestag, mais déjà testée localement
S’il s’agit d’une première au Bundestag, la coalition jamaïcaine n’est pas une nouveauté en Allemagne. En 2009, le parlement régional de la Sarre été gouverné par une coalition noire, jaune verte. Cet exemple ne devrait pas rassurer la chancelière: au bout de deux années de coalition, les partis ont souhaité dissoudre l’assemblée locale. Face à cet échec cuisant, pas facile d’imaginer cette alliance à l’échelle nationale. Cependant, depuis quelques jours, tous les regards se tournent vers un petit Land du nord de l’Allemagne. Le Schleswig-Holstein est gouverné depuis juin 2017 par une coalition jamaïcaine. Moins de trente jours après la signature officielle du contrat de coalition, il est encore trop tôt pour y voir un réel succès. Mais les partis se disent rassurés de voir que les longues négociations ont abouti à une coalition. Les trois partis devront gouverner ensemble jusqu’en 2022. Pour le ministre de l’environnement du Schleswig-Holstein, Robert Habeck, ces deux cas régionaux ne reflètent pas la situation à laquelle Angela Merkel est confrontée. Les partis doivent être prêts à faire des compromis sur leur politique d’immigration et de l’environnement. Presque impossible selon lui, les enjeux pour le pays étant trop importants. Il conclut que les partis ne pourront pas crier “victoire”, une fois le contrat de coalition signé, car “à la fin, il n’y a aucune garantie que ça fonctionne”.
Mais les électeurs allemands, jusqu'ici très sceptiques face à cette coalition, sont désormais 57% à la voir d’un bon oeil. Dimanche soir, ils n’étaient que 23%. Une forte progression qui devrait rassurer la chancelière.
Par Camille Despierres