La réforme du collège a bouleversé l'apprentissage des langues. LV2 dès la classe de 5e, suppression des classes européenne, diminution des classes bilangues, tous ces changements inquiètent particulièrement les professeurs d'allemand. Le ministère de l’Éducation nationale assure pourtant que l'enseignement de l'allemand est toujours mis en valeur.
Ce que dit le ministère
La réforme des collèges proposée par la ministre de l’Éducation Najat Vallaud-Belkacem a été appliquée à la rentrée 2016 dans toute la France. En matière d’enseignement des langues étrangères, le plus grand changement est le suivant : la LV1 (première langue vivante) sera enseignée dès le CP (première année de primaire), tandis que la LV2 (deuxième langue vivante) sera enseignée à partir de la 5ème. Désormais chaque élève bénéficiera de 7h30 de cours de LV2 entre la 5ème et la 3ème. Précédemment, un élève de collège bénéficiait seulement de 6h de cours de LV2 entre la 4ème et la 3ème. La ministre de l’Éducation défendait sa réforme à l’Assemblée le 14 avril 2015 en expliquant qu'elle permettra « à chaque collégien, et pas aux 20 % les plus privilégiés, d’avoir les compétences fondamentales pour réussir sa vie ». Elle ajoutait : « au lieu que 10 % des élèves puissent commencer plus tôt leur deuxième langue vivante, ce sera 100 % dès la 5e ».
L’Éducation nationale réaffirme aussi son attachement pour les cours d’allemand et sa volonté d’augmenter le nombre d’élèves. Pour elle « cette réforme va favoriser le développement de la diversité linguistique, notamment en faveur de l’allemand ». L’objectif était une hausse d’élèves apprenant l'allemand de 12% en primaire et de 6% au collège. Soit 200 000 élèves à la rentrée 2016 pour la primaire (contre 178 000 en 2015) et 515 000 collégiens (contre 487 000 en 2015). Le ministère ajoute que plus de 700 collèges proposent l'allemand en LV2.
A cela s’ajoute la nomination de Sandrine Kott comme déléguée ministérielle au renforcement de l’apprentissage de l’allemand sur le territoire français pour s’assurer du respect de ces projections. Pour soutenir cette augmentation du nombre d’élèves, 515 postes de professeurs d’allemand sont disponibles à la rentrée 2016. Pour l’Éducation nationale, impossible donc que la réforme engendre une baisse de l’intérêt pour la langue de Goethe.
Les professeurs d'allemand indignés
Alors que 97% des collèges dispensent de cours d’espagnol, les professeurs d’allemand s’inquiètent du choix que vont faire les élèves pour leur LV2. Suite à cette réforme, l’Association pour le développement de l’Allemand en France (ADEAF) a mené son enquête. Elle a interrogé 364 professeurs d'allemand sur les 6 357 postes existants. La conclusion générale de l’enquête est catégorique : « la réforme du collège fait structurellement reculer l’allemand. Le recul quantitatif (perte d’heures) a pour corollaire un recul qualitatif (baisse du niveau atteint par les élèves) ainsi que des conséquences humaines importantes sur les conditions d’exercice de leur métier par les enseignants d’allemand ».
La principale préoccupation est la suppression des classes européennes, l'une des conséquences de la réforme. La classe européenne se définit par une addition de 2h de cours de LV2 à chaque niveau. Avec la nouvelle répartition des heures de langues vivantes, ces classes n'étaient plus jugées nécessaires. Cependant, selon l'enquête, cette réforme a comme impact la suppression d’1/3 des postes d'enseignants d’allemand au collège car 1/3 des établissements qui enseignent l’allemand possédaient une classe européenne.
La réforme des collèges touche aussi les classes bilangues. Ces classes proposaient d'apprendre deux langues vivantes dès la 6ème. La ministre de l’Éducation voulait diminuer ces classes par souci d'égalité : les collèges utilisaient le critère des langues pour faire des classes de niveaux. Les seules classes bilangues qui perdurent aujourd'hui sont celles qui proposent une LV1 différente de l'anglais. Ainsi, l'élève peut commencer une LV1 dès le CP et faire de l'anglais dès la 6ème. Et c'est cette mesure qui contrarie principalement les professeurs d'allemand. Selon leur enquête, il ne reste plus que 43% des classes bilangues avec allemand en France. De surcroît, quand il s'agit de décider de sa LV1 au passage entre la 6ème et de la 5ème, les collégiens préfèrent souvent l'anglais. Seulement 11% des élèves ayant commencé l'allemand au primaire la choisissent en LV1 en 5ème.
L’ajout de 2h30 par semaine de LV2 en 5ème ne suffit pas à compenser la suppression des classes bilangues et européennes et 37% des enseignants de langue allemande sont touchés.
177 professeurs d’allemand qui ont répondu à l'enquête ont souligné l’impact de la réforme sur le nombre d’heures de cours d’allemand. Leurs conclusions sont résumées dans le tableau ci-dessous qui montre une baisse des DHG (la dotation horaire globale, un calcul du nombre d’heures par élève multiplié par les différents niveaux) au profit de l’espagnol. Un professeur explique sur le site de l’ ADEAF qu'à terme "il n’y aura plus que 7.50 heures d’allemand dans mon collège alors qu’il y en avait 23 il y a 4 ans ».
L'éducation au cœur des relations franco-allemandes
Au moment de la présentation de la réforme des collèges, les journaux allemands avaient rapidement réagit : la FAZ titrait « la France raccourcit les cours d’allemand ». De même, l’article n’hésitait pas à reprendre les termes de Pierre Yves le Borgn’, député représentant les Français établis hors de France, qui expliquait que « les changements programmés pour les cours d’allemand remettent en question à moyen terme les fondements de l’amitié franco-allemande ». Beaucoup regrettent que se crée un décalage entre les deux pays quant à l’éducation de la langue du pays voisin. Le français est la seconde langue la plus étudiée dans les établissements allemands selon la Süddeutsche Zeitung, mais cette place reste fragile.
Alors, les initiatives franco-allemandes se développent pour stimuler l’enthousiasme linguistique de part et d’autre de la frontière. C’est le cas de Mobiklasse.de, un programme dont le but est de développer l’apprentissage par des jeux et des activités interactives, lancé en 2015 par l’Office franco-allemand pour la jeunesse (OFAJ). Onze animateurs allemands sillonnent aujourd'hui la France pour rencontrer des élèves de primaire et de secondaire afin de leur transmettre le goût à l’allemand. Interviewée par La Voix du Nord, Anne Elkihel, professeur d’allemand au collège Eisen à Valenciennes, se désole que la majorité des élèves choisissent l’espagnol. Elle ajoute que « la suppression des classes bilangues en est l'une des conséquences ». Un programme de "publicité" autour de la langue allemande a donc été nécessaire.
De même, 12 français participent au programme FranceMobil, le pendant allemand de Mobiklasse.de, et qui rencontre aussi un franc succès. Les professeurs parcourent aussi l’Allemagne de ville en ville permettant aux élèves d’avoir une approche interactive de l’apprentissage du français. Une initiative qui permet un intérêt grandissant envers les langues mais qui reste une action de faible ampleur.
Par Sibylle Aoudjhane