Euro 2016: l'Allemagne est-elle bien placée pour critiquer la gestion des hooligans ?

Face aux débordements hooligans en marge des matchs de l'Euro, la presse allemande se montre très critique envers la France. Elle l'accuse d'avoir sous-estimé le risque d'affrontements entre hooligans et, selon elle, les forces de l'ordre françaises seraient mal préparées. Mais l'Allemagne devrait se souvenir qu'elle n'est pas complètement épargnée par le hooliganisme. 

L'Euro 2016 vient seulement de commencer, et plusieurs matchs ont déjà connu de violents débordements. A Marseille d'abord, samedi, des affrontements brutaux ont opposé principalement des supporters Russes et Anglais. A Lille ensuite, dimanche dernier, où se jouait le match Allemagne-Ukraine. De brèves échauffourées ont éclaté dans le centre-ville dans l'après-midi. Entre 30 et 50 hooligans allemands ont attaqué des Ukrainiens en plein centre-ville, peu avant le début de la partie. Sur la vidéo ci-dessous, on peut revoir les jets de chaises, de tables et les coups de poings qui volent. Mais assez vite, la situation a été maîtrisée par les forces de police présentes.

La presse allemande n'est pas tendre avec la France

Depuis samedi, la presse allemande fait ses choux gras de ces incidents. A l'approche du match qui opposera l'Allemagne à la Pologne, les articles sur les hooligans se multiplient. Hier, la Bild a fait sa une avec ce titre "peur sur l'Euro" : un titre accrocheur accompagné d'une photo sanglante des affrontements à Marseille. La Welt, elle, craint de nouveaux débordements lors du match ce soir. Il faut dire que cette rencontre compte parmi les cinq matchs à risque identifiés par les organisateurs.

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Pour les médias allemands, la France aurait concentré sa sécurité sur le risque d'attentat terroriste. Le phénomène hooligan, lui, aurait été largement sous-estimé, mal anticipé et donc mal préparé par les hôtes de l'Euro 2016. Il est vrai que l'accent sécuritaire en France a été mis sur la menace d'attentat terroriste. Néanmoins, les organisateurs français récusent ces accusations. Ainsi, Antoine Boutonnet, commissaire de police, assurait au micro de France Culture que la "division nationale de lutte contre le hooliganisme travaille depuis plus de 3 ans à la préparation de l'événement".

L'Allemagne coopère avec la France

Plus de 90 000 policiers et agents sont chargés d'assurer la sécurité pendant l'Euro, contre les attentats mais aussi contre les affrontements entre supporters. De plus, la France a demandé la coopération des 23 autres pays participants. Près de 200 policiers de tous les pays en compétition sont venus en renfort pour les aider à traquer leurs hooligans.

En outre, la France a interdit l'entrée de son territoire à 3000 supporters européens identifiés comme violents et interdits d'accès aux stades de leur pays. Une interdiction qui repose sur la coopération avec les polices nationales. Ainsi, 21 hooligans allemands ont été interpellés à Trêves par la police avant d'entrer sur le territoire français. 18 venaient de Dresde, ville de l'est réputée pour ses supporters ultra violents. Ils étaient répartis dans trois mini-bus, et étaient équipés de protège-dents et de casques. Très organisés, voyageant en petits groupes, beaucoup d'autres parviennent à venir en France. Les forces de polices ont ainsi estimé qu'il y avait près de 300 hooligans allemands à Lille ce dimanche. 

L'expérience allemande dans la gestion du hooliganisme

Des mesures insuffisantes selon certains, surtout en perspective du match à risque Allemagne-Pologne, qui se joue ce soir à Saint-Denis. Dans une interview donnée à la chaîne Phoenix, le président de la fédération allemande de football, Rheinhard Grinel, a exprimé son souhait de voir la délégation policière allemande renforcée en France "afin d'aider la police française à cibler les personnes violentes".

L'Allemagne a, il est vrai, une certaine expérience dans ce domaine. Pendant de nombreuses années, elle a été confrontée au hooliganisme. Dans les années 90, les clubs allemands de première division avaient vu leur réputation très entachée par de nombreux épisodes de violence. En 1991, un match entre le Dynamo Dresde et l'Etoile rouge de Belgrade avait été interrompu à cause des débordements hooligans. L'Allemagne a même failli être interdite de compétitions européennes pendant 5 ans. Et beaucoup se souviennent de l'agression ultra violente de Daniel Nivel, à Lens, pendant la coupe du Monde 1998, par trois hooligans allemands. Le gendarme français est resté six semaines dans le coma et en a gardé de graves séquelles.

Comme la Grande-Bretagne, l'Allemagne a mis en place une cellule policière chargée de collecter les informations sur les supporters violents dès 1992. La sécurité dans les stades a été renforcée, la police est présente dans les stades, les supporters ont été séparés. Des Fanprojekte, (en français, des projets de fans), structures de travail social présentes dans près de 50 villes en Allemagne ont été financés. Ils suivent les supporters au quotidien et jouent un rôle de médiateur entre les fans et les clubs, la police, les autorités locales, les médias.

Dans une interview donnée à SoFoot, le politologue Jonas Gabler explique ainsi que "s'est développé, au niveau des autorités nationales et régionales, le concept de « sécurité dans les stades » , le financement des Fanprojekte d'un côté, le renforcement de la sécurité autour des enceintes et les interdictions de stade de l'autre… Les stades ont été modernisés, et il y a eu une forte action répressive, pour permettre à la nouvelle clientèle de venir dans ces stades plus confortables. La violence a été largement éradiquée des stades et autour des stades." Et cela semble avoir fonctionné. En partie du moins.

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La coupe du monde en 2006 en Allemagne s'est déroulée sans heurts

Lorsqu'elle a accueilli la coupe du monde en 2006, l'Allemagne a été largement épargnée par la violence. Elle pensait alors en avoir fini avec ses hooligans. Mais les débordements à Lille dimanche dernier montrent que ce n'est pas encore le cas.

Le nouveau hooligan allemand, politisé... à l'extrême

Le hooligan allemand d'aujourd'hui n'est plus le même qu'il y a 20 ans. Comme l'écrivait déjà Nathalie Versieux dans Libération en 2007, il est "sportif et à jeun dans la bagarre, il soigne son allure et s'affiche drapé dans des vêtements de marque. Adepte des sports de combat, il ne s'intéresse que mollement au foot. Comme il ne soutient aucun club en particulier, il se fait surtout remarquer lors des matchs de l'équipe d'Allemagne à l'étranger, de préférence en Pologne ou en République tchèque."

Pendant longtemps, le hooligan allemand se voulait apolitique, intéressé seulement par défendre les couleurs de son club et voulant en découdre avec son adversaire. Mais depuis quelques années, les experts et les services de renseignements allemands ont constaté une politisation des hooligans, surtout en Allemagne de l'Est. Ainsi, à l'automne 2014, les hooligans de plusieurs clubs allemands, pourtant ennemis, se sont rassemblés et ont organisé des démonstrations de force dans le pays "contre les salafistes", avec notamment des émeutes lors d'un rassemblement à Cologne. 

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Manifestations à Cologne en octobre 2014 qui réunit hooligans et extrême-droite "contre le salafisme"

Et dans les rues de Lille, dimanche dernier, plusieurs supporters allemands se sont affichés avec des drapeaux de guerre du IIIe Reich. Plusieurs témoins les ont vu faire des saluts hitlériens ou tenir des propos racistes. Les médias allemands ont repéré quelques néo-nazis notoires parmi eux, comme Michaël Brück, à la tête de la sphère militante néonazie de Dortmund.

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Des supporters allemands à Lille, avec le drapeau impérial

Ces liens entre les hooligans et l'extrême-droite allemande inquiètent les autorités en Allemagne. Et nuisent énormément à l'image du pays pendant l'Euro. Néanmoins, ils ne sont pas les hooligans les plus redoutés de la compétition. Leurs homologues des pays de l'Est n'ont rien à leur envier. Et ce n'est pas tant les hooligans allemands qui seront extrêmement surveillés ce soir que leurs adversaires polonais, classés parmi les hooligans les plus violents d'Europe.

 

Par Sonia Reynaud