Plus d'un milliard d'euros par an. Une arnaque à la sécurité sociale qui rapporterait à ses auteurs autant que le trafic de drogue. Avec comme décor de ce braquage d'un nouveau genre : la prise en charge de personnes dépendantes. Un scandale à grande échelle qui secoue l'Allemagne.

L'Allemagne est un pays qui vieillit. Si la tendance ne s'inverse pas, un tiers de sa population aura plus de 65 ans d'ici 2060. Et cette "maison de retraite de l'Europe" en devenir n'en finit plus de dépenser des milliards pour les soins des personnes dépendantes. D'après le ministère de la Santé, plus de 20 milliards d'euros sont ainsi dépensés chaque année par les caisses d'assurance-maladie et de soins. Et l'odeur de ces sommes astronomiques est arrivée jusqu'au nez de structures mafieuses, venues de pays de l'ex-URSS. Des révélations faites après une enquête au long cours réalisée par des journalistes de la télévision publique Bayerischer Rundfunk et de l'hebdomadaire Welt am Sonntag.

© dpa

Selon des documents du BKA, la police judiciaire fédérale, ce phénomène toucherait tout le pays. Avec une combine d'une simplicité implacable comme le rapporte l'hebdomadaire Der Spiegel, qui cite l'exemple d'une entreprise qui répond au nom bien choisi de "Harmonie". D'après l'enquête menée par le parquet de Cologne, le duo ukrainien à la tête de cette société de soins à la personne a ainsi encaissé près de 600 000 euros en à peine 18 mois. Il leur suffisait de facturer des soins fictifs à des organismes de santé privés et publics. Une opération répétée dans 1300 cas. Autre combine très appréciée, facturer des soins réalisés par des professionnels de la santé alors que ceux-ci ont été prodigués par un personnel non qualifié. Depuis l'automne dernier, des dizaines de procédures ont été engagées à travers les différents Länder. Pour un préjudice estimé à au moins un milliard d'euros par an.

Une prise en charge aux coûts croissants. Site de soins à la personne "Homecare"

Un marché qui prend des allures de puits sans fond. Une personne ayant besoin de soins intensifs peut bénéficier jusqu'à 22 000 euros par mois de son organisme de santé. Le culot de ces bandes criminelles ne s'arrête pas à la seule falsification de prestations. C'est tout un système qui s'est mis en place avec de véritables formations à destination de ces malades imaginaires. La raison ? Faire bonne figure en cas de contrôle face aux enquêteurs du service médical des caisses d'assurance.

Pour Karl Lauterbach du SPD, expert bien connu ici de la santé, il s'agit ni plus ni moins de l'un "des plus grands scandales de l'histoire du système de santé". Car ceux qui tirent les ficelles de l'escroquerie ne sont pas les seuls à encaisser le magot. Patients et proches sont de mèche et perçoivent également une partie de l'argent. Des complices venus eux aussi de pays de l'Europe de l'est. Les autorités sont ainsi impuissantes face à ces réseaux aux liens très forts et se heurtent à un mur du silence. Ce qui explique le très faible nombre de condamnations jusqu'ici. Pour faire face aux immenses besoins de sa population vieillissante, le gouvernement allemand pensait bien faire en facilitant la création de sociétés de prise en charge des personnes dépendantes. Mais ce scandale à l'incroyable ampleur le montre bien: c'est tout un secteur, celui des soins à la personne, qu'il va falloir repenser de fond en comble.

Par Julien Mechaussie