Ulysse Coulon, Französisches Gymnasium de Berlin
Après 70 ans, Élisabeth Kalhammer sort de son silence. Cette grand-mère autrichienne de 89 ans n' a pas fait un petit boulot ordinaire quand elle avait 18 ans. Non, c'était une des bonnes d'Adolf Hitler au Berghof, résidence secondaire du dictateur nazi dans les Alpes bavaroises. Elle répond à une petite annonce en 1943, sans se douter un instant quel serait son employeur.
Élisabeth Kalhammer nous présente Hitler sous un jour nouveau : sa vie privée jusque là assez méconnue. On apprend ainsi que le Führer adorait le cinéma et avait fait installer une salle de projection privée, il suivait un régime strict végétarien sur les recommandations de son médecin (pour calmer son "estomac nerveux"), mais se permettait quelques écarts. Le maître de l'Allemagne allait ainsi manger des sucreries la nuit, alors que toute la maisonnée dormait. Il portait une affection particulière à un gâteau : le Führerkuchen avec des pommes, des noix et des raisins. Préparé chaque jour avec soin, le gâteau devait être laissé à disposition pour faciliter les virées nocturnes du maître de maison. Autre affection du Führer, une tasse de thé quotidienne avec des biscuits au chocolat et des scones. Hitler appréciait particulièrement les tasses en porcelaine de Nymphenburg. Eva Braun, la maîtresse cachée d'Hitler, est aussi évoquée. Elle est décrite comme "élégante", "toujours bonne" et aimable avec les domestiques. Malgré l'absence de mariage avec le Führer (ils se marièrent le 29 avril 1945, soit la veille de leur suicide commun), elle se comportait comme la maîtresse de maison et avait même dessiné les uniformes du personnel. Autre révélation, et pas des moindres : Hitler se couchait fréquemment à 4h du matin après avoir passé la soirée avec ses invités, qui venaient de loin et arrivés à 22h. Il se réveillait à 14h.
Et c'est exactement ce qui se passe le 6 juin 1944 au petit matin : les Alliés viennent de débarquer sur les côtes normandes avec plus de 150 000 hommes (ce qui constitue la plus grosse opération militaire de l'Histoire) et Hitler dort profondément. Personne n'ose réveiller le dictateur pour lui annoncer la mauvaise nouvelle. Un vent de panique souffle alors sur la résidence: les servantes sont très préoccupées et choquées. Toutes disent même : "C'est trop tard, c'est perdu". Un comble alors que selon Élisabeth, elle et les 21 autres femmes de chambre "pouvai[ent] penser, mais pas parler" ! La dernière fois qu'Élisabeth voit Hitler, il lui semble abattu est cassé par sa défaite annoncé.
Élisabeth s'enfuit en 1945 du Berghof et travaille dans l'hôtellerie. Cette grand-mère autrichienne discrète vit désormais à Salzburg en Autriche.
Ce témoignage fait tâche avec l'ascétisme prétendu d'Hitler, véhiculé par la propagande nazi. Le Führer, l'homme qui ne fume pas, ne boit pas, n'a aucune relation amoureuse et ne mange jamais de viande pour se dévouer entièrement à son peuple, est une image factice du dirigeant nazi (il ne respecte en effet que la première affirmation), et ce témoignage vient renforcer la vérité.
Le Berghof était la villégiature d'Hitler sur la montagne bavaroise Obersalzberg. Lieu de résidence d'Hitler après sa sortie de prison en décembre 1924, c'est là qu'il termine son livre Mein Kampf. Il loue le chalet à partir de 1928 et l'achète en 1933. Il modifie en profondeur l'architecture de la maison selon ses propres plans et ceux de l'architecte Alois Degano. La maison de campagne devient un centre névralgique du IIIème Reich : C'est là qu'Hitler évoque pour la première fois devant ses généraux la future invasion de la Pologne, 11 jours avant cette attaque militaire, c'est là qu'il propose à Staline un pacte de non-agression, qu'il reçoit Chamberlain (le premier ministre britannique qui voulait éviter la guerre) ou encore qu'il ordonne l'extermination des Juifs du Ghetto de Varsovie après leur insurrection. Le lieu est tellement lié à ce régime monstrueux que le gouvernement allemand décide de détruire totalement cet édifice abandonné en 1952 et en mauvais état (il était la cible des bombes) afin d'éviter tout pèlerinage des nostalgiques du régime nazi.
On décide en 1992 de construire un hôtel de luxe à proximité (ouvert en 2005) et un centre de documentation sur les crimes nazis sur les ruines du Berghof.