Un dessinateur qui aurait pris la grosse tête, des scénaristes incapables de reprendre la série… Les amabilités ont fleuri à travers interviews et réactions à la décision de Jean Van Hamme d’arrêter Largo Winch. Pourtant déjà prévue, la séparation des parents de Largo tourne au divorce douloureux.
L’affaire débute avec une interview donnée au mensuel de BD Casemate. Dans le numéro d’août-septembre, Jean Van Hamme annonce que le vingtième et prochain album du héros milliardaire sera son dernier. Et le scénariste d’ajouter « Puis sont survenus de petits problèmes entre Philippe et moi. Disons que les atomes crochus entre Philippe Francq et moi se sont décrochés ». Plus loin, la petite phrase qui chatouille : « J’ai du mal à continuer à m’entendre avec les personnes qui se prennent un peu la grosse tête ».
Pas glop pour le dessinateur Philippe Francq qui accuse le coup. Il confie à 20 minutes que son scénariste est fatigué : « ça n’est pas moi qui vieillis dans l’histoire. Jean a 76 ans, mais certains accusent mieux l’âge que d’autres ». Sans comprendre les accusations d’hypertrophie cérébrale, il précise : « j’observe simplement que Jean a fini par se fâcher avec tous les dessinateurs avec lesquels il a collaboré et auxquels il doit une partie de son grand succès ». Et vlan !
Qu’arrive-t-il donc au couple aux 12 millions d’albums vendus et qui a connu l’onction du 7ème art avec deux adaptations cinématographiques de Largo Winch ? La crise de la quarantaine peut-être d’une histoire qui débute en 1973 comme le raconte Jean Van Hamme lui-même dans Mémoires d’écritures, son dernier ouvrage paru fin mai aux éditions Grand Angle. Un livre autobiographique passionnant qui fait le récit de ses cinquante années de carrière, à travers ses bandes dessinées, ses scenarii pour le cinéma, la télé et ses romans. L’auteur nous livre les coulisses de ses créations. Pour reprendre un terme à celui qui débuta comme ingénieur commercial, on y découvre le « back office » de ses relations avec les éditeurs, les rédacteurs en chef et… les dessinateurs. La parole est libérée, l’homme n’a plus rien à prouver.
Non, Jean Van Hamme ne s’est pas fâché avec tous ses dessinateurs. Il en égratigne certains mais sait reconnaître le talent et lui rendre grâce. Il le fait d’ailleurs dans l’interview à Casemate où il parle, après le coup de patte, de Philippe Francq comme d’un « très grand dessinateur… Sergio Leone de la bande dessinée » avec des « cadrages formidables ». Oui, Jean Van Hamme est fatigué. Dans son autobiographie, le scénariste détaille toutes ses séries à succès qu’il a lancé et toutes peu à peu abandonné comme Thorgal ou XIII. « Je vais aussi lâcher bientôt ce brave Largo » y précise-t-il déjà. Jean Van Hamme n’a plus le feu sacré de la BD. Il veut passer à autre chose, au théâtre. Sa dernière BD sera le treizième album de XIII mystery dessiné par Olivier Grenson. Prévu pour 2018, il sera son « chant du cygne », ironise l’auteur dans Mémoires d'écriture.
D’ici la fin de l’été, la température devrait baisser entre les deux auteurs. Au fond, aucun d’eux ne veut, ni d’ailleurs n’a intérêt, à ce que la situation se dégrade. Les écarts de langage seront oubliés. Encore ne faut-il plus en faire. «J'ai l'impression qu'aucune personne dans le monde de la bande dessinée ne connaît suffisamment le milieu économique en profondeur pour prendre la succession de Jean », affirme Philippe Francq au Figaro. Il sait déjà qu’il fera appel à un romancier pour le prochain album sans Van Hamme. Les scénaristes dont les séries sur la finance et l’économie qui font florès en ce moment, vont sûrement beaucoup apprécier ce jugement de valeur.
Mémoires d'écriture de Jean Van Hamme. Editions Grand angle. 16 euros.