Si les héros de BD avaient le droit de vote, qui choisiraient-ils ? La réponse pour des personnages plus politisés qu’il n’y paraît…
Sous les bulles et derrière les cases, Obélix, Iznogoud ou Lagaffe ont des opinions voire même des convictions. Leurs vies sont loin d’être déconnectées des mouvements, de l’histoire ou des travers du monde politique. Tintin ne commence-t-il pas sa carrière au pays des Soviets ? Les héros de Peyo ne tentent-ils pas l’expérience totalitaire dans l’album du Schtroumpfissime ? Et que penser de Superdupont qui combat sans relâche l’Anti-France? Ceci étant dit, que les trolls du commentaire et les excités du bulletin de vote se calment. Mon sujet n’a d’autres vocations que de vous faire sourire. Je me suis juste amusé à demander aux spécialistes du genre de lever le secret de l’isoloir pour les héros de papier.
Tintin vote Macron
Benoît Peeters, écrivain, scénariste de BD est un des meilleurs connaisseurs de l’œuvre d’Hergé. Il est l’auteur de Hergé, fils de Tintin, biographie qui fait référence et ressortie à l’occasion de l’exposition qui s’est tenue au Grand Palais jusqu’en janvier. Cet éminent tintinologue nous éclaire sur le choix du héros à la houpette.
Benoît Peeters : «Après le pays des Soviets, Tintin ne va pas voter Mélenchon ou Nathalie Arthaud. Il ne voterait pas non plus pour Le Pen. Tintin aime les étrangers, les immigrés. Pour s’en convaincre, il suffit de relire les Bijoux de la Castafiore dans lequel Tintin est particulièrement bienveillant à l’égard des Tsiganes, aujourd’hui on parlerait de Roms. Et puis il y a son ami Tchang qui est chinois et qu’il va secourir dans Tintin au Tibet. Donc non, pas Le Pen, ni tous les extrêmes d’ailleurs. Le personnage d’Hergé n’est pas véritablement français ou belge. Il ne peut pas être souverainiste, il est plus européen en réalité. Et Tintin a des côtés de droite et de gauche. Il est au centre en fait. Il est jeune aussi. Je crois qu’il serait condamné à voter Macron, c’est lui qui lui correspond le plus.»
Astérix vote Dupont-Aignan, Obélix Le Pen et Panoramix Mélenchon
Pour résoudre la problématique du vote du village gaulois, j’ai demandé à Numa Sadoul. Il est une grande signature de la presse BD, auteur de remarquables ouvrages d’entretiens avec les plus grands auteurs de bande dessinée comme Franquin, Hergé, Moebius ou Uderzo dans Astérix et compagnie publié en 2001.
Numa Sadoul : «Astérix hésiterait peut-être à voter Macron, garant d’un ordre bourgeois traditionnel. Mais il manque à ce candidat une dimension souverainiste, je dirais même gaullienne qui devrait séduire Astérix. Ce que n’affiche pas Macron. Dupont-Aignan a ce double côté. Ça parle mieux à Astérix, son bulletin de vote irait au final à Dupont-Aignan. Quant à Obélix, gavé de théories anti-envahisseurs d’outre frontières, sa voix ne peut aller qu’à Le Pen. Obélix est comme un enfant. Son bon cœur et ses bonnes influences le tireraient vers un vote social, populaire, généreux. Mais son absence de morale, son égoïsme naturel et l’influence des abrutis du village qui l’entourent le porteraient en fait vers le vote le plus bas, le FN. Quant à Panoramix, à mon avis, il donnerait bien sa voix à un trublion comme Mélenchon.»
Iznogoud vote Hamon
Nicolas Tabary a grandi avec celui qui rêve d’être calife à la place du calife. Il est le fils de Jean Tabary, le dessinateur originel d’Iznogoud créé avec René Goscinny au scénario. Après le décès de son père, il a repris au dessin la série avec succès. Le Grand Vizir, il le connaît par cœur.
Nicolas Tabary : «Izngoud ne peut voter que pour lui-même. Il ferait tout pour être candidat parce-que ce qu’il veut avant tout, c’est le pouvoir. Il aurait tout, il aimerait tout, l’ambition, les cabinets noirs. Il est le candidat par excellence. Lorsqu’on regarde les candidats de la présidentielle, on se rend compte d’ailleurs qu’il y a beaucoup d’Iznogoud. S’il ne pouvait pas être candidat lui-même, il voterait pour le plus mauvais pour prendre le pouvoir le coup d’après. Il choisirait celui qu’il pense être le plus couillon, le plus naïf comme l’est le Calife Haroun El Poussah. Il n’en choisirait pas un qui puisse être un danger pour lui. Le Pen est, par exemple, trop teigneuse. Donc parmi ceux qui arrivent en tête, il choisirait sans doute Benoît Hamon. Remarquez que le Calife El Poussah, soit disant sans danger et naïf, est toujours là. Iznogoud n’a jamais réussi à le destituer.»
Blake et Mortimer votent Fillon
Derrière les deux héros britanniques, il y a l’empreinte de leur créateur, un auteur fabuleux, Edgar P. Jacobs. Michel Alloing au dessin, Drac aux couleurs et Rodolphe au scénario ont réalisé en 2012, La Marque Jacobs, une belle et documentée biographie en BD de l’auteur belge. Le scénariste a les clés pour nous livrer les deux bulletins de vote.
Rodolphe : «Blake et Mortimer sont tous les deux des conservateurs. Et ce qui ressemble le plus aux conservateurs au sens anglo-saxon du terme ce sont chez nous Les Républicains. Blake et Mortimer ont un recul très british, un regard distancié sur les choses. Ils ne peuvent voter pour Macron ou Mélenchon. Et comment imaginer que des hommes qui travaillent pour les services secrets britanniques puissent voter Poutou ou Arthaud ? De toute façon, ils sont totalement démocrates, ce qui les éloignent des extrêmes. Mais ils sont fermement ancrés à droite. Ces personnages appartiennent à Jacobs et ils lui ressemblent. Jacobs était sensible à la conservation de la société, il n’était pas du tout gauchiste. Ils portent des valeurs comme des vêtements que lui-même portait. L’élégance très tweed des deux héros les attire aussi vers les beaux costumes comme, semble-t-il, François Fillon. Il est bien leur candidat.»
Les Schtroumpfs votent à l’unisson Macron (sauf peut-être le Schtroumpf indécis)
En ce moment, il y a une chouette exposition Peyo en Belgique à la Fondation Folon près de Bruxelles. J’ai demandé à Hugues Dayez, commissaire de l’expo, ce qu’il pensait du vote schtroumpf. Il est aussi l’auteur en 2003 de Peyo l’enchanteur, une biographie sur leur créateur qui a réussi l’exploit de satisfaire même le plus grognon des Schtroumpfs.
Hugues Dayez : «Il y a deux albums très politiques chez les Schtoumpfs. Le premier, c’est un des meilleurs, est Le Schtroumpfissime. Les petits personnages de Peyo y subissent un éveil à la dictature. Et ils vont s’en débarrasser. L’autre est Le Schtroumpf vert et Vert Schtroumpf. C’est un album très belge, une allégorie du scepticisme qui règne dans la Belgique qui commence à se déliter dans les années 70. Les Schtroumpfs se disputent sur le langage schtroumpf, une évocation des tensions communautaires entre les Wallons et les Flamands. Ces expériences qui ont marqué l’histoire schtroumpf font qu’ils n’iront certainement pas vers les extrêmes. Certains ont émis l’idée que les Schtroumpfs composaient une société collectiviste, communiste. Que Peyo avait adhéré au parti communiste. C’est une image fausse. La société schtroumpf est une société égalitaire mais il existe le droit à la propriété privée. Le Schtroumpf paysan a, par exemple, son lopin de terre. Et les individualités sont très fortes, très précises. Les Schtroumpfs ne sont pas fondus dans un groupe. Chaque Schtroumpf a ses caractéristiques propres, reflets de la comédie humaine. Le respect de chacun dans ses différences, l’éloignement des extrêmes font que les Schtroumpfs se situent en réalité au centre. Leur candidat est donc naturellement Macron.»
Gaston Lagaffe : abstention
La Centre Pompidou à Paris nous a offert une remarquable exposition Gaston, au-delà de Lagaffe. Elle vient de fermer ses portes le 10 avril. Mais j’ai rattrapé par le bras son commissaire, Frédéric Jannin. Il est auteur de BD (Germain et nous), a participé au Trombonne illustré, au magazine Spirou et fut un compagnon de Franquin, le créateur du gaffeur.
Frédéric Jannin : «Gaston n’est pas loin d’être un anar. Et sa bande aussi. Alors il aurait du mal à voter. Il était écolo dans l’âme mais plus comme un précurseur en activant les sonnettes d’alarme par rapport à la protection de la planète. Cependant avec sa voiture, il a contribué à pas mal de pollution. Lagaffe est un être paradoxal. Son papa, Franquin, était dans son esprit à gauche. J’en suis certain. Enfin à l’époque où ça voulait dire encore quelque chose. Franquin ne supportait plus toute l’horreur de l’humanité. Et plus il avançait, plus il était dégouté par ce que les êtres humains sont capables de faire. Donc il aurait tout comme Gaston beaucoup de mal à faire confiance à qui que ce soit actuellement. En plus, il ne faut pas oublier que Gaston est un gaffeur. Ce n’est pas bien mais sa gaffe serait peut-être de ne pas voter, de s’abstenir.»
Superdupont : vote nul
Marcel Gottlieb nous a quittés l’année dernière. Il était le créateur de Superdupont avec Jacques Lob dans le journal de Pilote en 1972. Le super-héros made-in-France a connu plusieurs tentatives de récupération par les extrêmes. Gotlib en était désespéré. Le dernier album, Superdupont : Renaissance, a été confectionné avec le génial dessinateur François Boucq. Ce dernier nous donne sa version du vote en charentaises et béret vissé.
François Boucq : «Si Coluche se présentait, il voterait très certainement pour lui. Car Superdupont, le côté franchouillard, c’est avant tout de l’humour. Et c’est certainement ce que n’ont pas compris Soral ou Dieudonné qui ont voulu le récupérer. Avec l’Anti-France, on se moque de l’extrême droite. Le parti de Superdupont est celui de l’humour, qui est la plus grande des libertés. Et l’humour est ce qui manque le plus à cette campagne. Voilà pourquoi il voterait Coluche. Mais l’humoriste n’est plus là. Alors Superdupont ferait une compression de tous les candidats. Un truc à la César, une synthèse de tous les prétendants. Un vote qui réunirait les valeurs paradoxales de la France.»