Un nouvel album de Jeremiah, une exposition-vente et les ultimes coups de crayon sur Duke, sa dernière série qu’il réalise au scénario avec son fils Yves H. Rencontre avec le Grand Prix d’Angoulême qui, à 79 ans, est au meilleur de ses capacités.
C’est dans un hôtel parisien, à une centaine de mètres des quais de Seine que nous nous donnons rendez-vous. Pas loin de la galerie Daniel Maghen où le dessinateur expose en ce moment. Il vend 75 planches retraçant 50 ans de dessins. L’exposition a lieu jusqu’à la fin du mois de septembre. Toutes les planches ne sont pas accrochées au mur de la galerie. Elle est trop petite. C’est dommage car l’œuvre est immense : Comanche, Jeremiah, Bernard Prince, Les Tours de Bois-Maury… Il totalise plus d’une centaine d’ouvrages avec le rythme effréné d’un album tous les 6 mois. Hermann a le talent et garde la forme. Dans un salon de l’hôtel, il est assis sur un fauteuil. L’œil vif, le visage souriant. La réputation d’auteur bougon est surfaite. On sent tout de même qu’il ne faut pas pousser le Belge trop loin car l’auteur a son franc-parler. A près de 80 ans, Hermann ne s’embarrasse pas de certaines conventions, il dit ce qu’il pense sans circonvolution.
Après 15 tomes de Comanche, 15 aventures des Tours de Bois-Maury, 13 épisodes de Bernard Prince et maintenant 35 albums de Jeremiah, vous n’avez pas envie de souffler ?
Hermann : Je suis comme un sportif. Si un athlète s’entraine moins, il perd sa condition. Et je ne veux pas la perdre. Faire une pause, charger les accus, pour moi, c’est de la connerie. Si un jour je sens une légère fatigue alors peut-être que je diluerai mon travail. Je ne ferai plus qu’un album par an. Le temps le dira mais je ne veux pas m’arrêter.
Le scénariste Jean Dufaux me confiait il y a peu qu’il ne croyait plus aux longues séries en BD. Visiblement pas vous avec votre nouvel opus de Jeremiah ?
Le problème avec les longues séries est qu’on peut perdre les idées. La veine s’épuise et on tourne en rond. Un phénomène d’usure. Mon seul juge sont les lecteurs. Si les ventes de Jeremiah reculent alors je jetterai l’éponge. Sinon je continue. Ce qui marche le plus en ce moment c’est Duke. Ce western conçu par mon fils est différent de ceux que l’on faisait par le passé. Il est plus sombre, plus cruel aussi. Mon fils a un côté plus désillusionné que moi.
Votre fils est maintenant votre scénariste attitré. Après avoir travaillé longtemps sur Bernard Prince ou Comanche avec Greg, ça doit vous changer ?
Quand Greg me donnait les scénarios, il n’y avait pas de doutes. C’était solide, le texte était passionnant. Mon fils ne décrit pas les scènes aussi narrativement que lui. Quand il me rend le scénario, il n’y a pas de méfiance mais j’éprouve des doutes. Je me dis, on verra. Lorsque que la chose est dessinée, je trouve ça toujours très bien. Il met dans son récit à chaque fois quelque chose que je ne pouvais pas pressentir. Il est aussi plus nuancé que Greg. Et il y a quelque chose de contenu, de retenu chez mon fils. Une violence, une noirceur qu’il exprime dans ses récits.
Cette relation de travail avec Yves H., votre fils, est importante pour vous ?
Mon fils a les yeux pour mettre un regard sur mon travail. Il me surveille de près à l’inverse de ce que faisait Greg. Sur ses recommandations il m’est arrivé de faire des corrections. Après plus de 50 années de dessin, je pense qu’on ne connaît jamais son métier. On peut avoir un moment de faiblesse, être déçu par ce qu’on fait. Il a une influence sur mon travail. Ça ne me déplait pas que mon fils vienne après moi. De toute façon, son dessinateur préféré est François Boucq et il a raison.
La rentrée, c’est aussi pour vous cette grande vente de planches originales. Vous avez besoin d’argent ?
Non, je vis confortablement et je ne suis pas vénal. Il y a quelque chose dans notre société d’argent qui ne me plaît pas. Le Dieu Fric me révulse. Pour autant, je ne veux pas céder mes planches pour des cacahuètes à des gens qui vont les revendre à prix d’or. C'est aussi un petit déchirement quand je les vois partir. Mais avec près de 5000 pages, j'ai quand même du stock. Je n’ai fait qu’une seule autre grande vente en galerie. C’était à Bruxelles, il y a environ trois ans. Je ne vendrai pas toujours mes originaux par l’intermédiaire d’une galerie. Les collectionneurs peuvent me contacter. Je dois les prévenir quand même que je ne vendrai jamais certaines planches. De toute façon tout cet argent ira à mon fils.
Jeremiah, Tome 35: Kurdy Malloy et Mama Olga. Hermann. Editions Dupuis. 12 euros.
Duke, tome 1: La boue et le sang. Hermann et Yves H. Editions Le Lombard. 15 euros. Tome 2 à paraitre en janvier 2018, avant Angoulême.