Blake et Mortimer se dérident avec Jean Van Hamme dans leur nouvel album, Le Dernier Espadon

Le Dernier Espadon (Editions Blake et Mortimer).

De l’aventure, du spectacle, une intrigue, des méchants avec de terrifiantes machines et… une dose d’humour. Le scénariste belge, Jean Van Hamme, réussit Le Dernier Espadon, 28e aventure de Blake et Mortimer.

IRA et nazis, même combat ?

L’histoire débute en janvier 1948. La seconde guerre mondiale est terminée. Enfin presque. Des nostalgiques du IIIème Reich vont s’associer à des membres de l’IRA, l’Armée républicaine irlandaise, pour préparer un terrible attentat. Faire exploser le palais de Buckingham, haut lieu de la monarchie britannique, tel est leur noir dessein. « Ce projet d’attentat avec l’IRA est authentique. Il a été imaginé par les Allemands pendant la guerre et a été déjoué à la fin de celle-ci en 1944. Le Dernier Espadon est une fiction mais j’ai pensé que je pouvais utiliser ce contexte historique et géopolitique avec une Irlande restée neutre pendant tout le conflit », explique Jean Van Hamme.

Un vieil Espadon de 75 ans

L’Espadon est l’aéronef et sous-marin qui apparaît dans Le Secret de l’Espadon, les premières aventures de Blake et Mortimer. Imaginé par Edgar Pierre Jacobs, il est une arme de destruction massive. L’histoire est publiée à partir de septembre 1946 dès le premier numéro du journal de Tintin. Cent-cinquante pages de dessins dont on fête cette année les 75 ans. « Le professeur Mortimer est présenté comme l’inventeur de l’ Espadon. Pourtant, cette invention n’est jamais vraiment montrée dans la suite des aventures que Jacobs a imaginées. Je me suis dit qu’il était temps d’en faire quelque chose et de boucler la boucle en quelque sorte », raconte Jean Van Hamme.

L'Espadon dessiné par Edgar P. Jacobs dans Le Secret de l'Espadon (Editions Blake et Mortimer).

Terrifié par le réalisme de Jacobs

L’effet « madeleine de Proust » n’est certainement pas étranger au choix du scénariste belge. « Lorsque j’ai découvert Le Secret de l’Espadon à l’âge de 7 ans et demi, j’ai ressenti une grande émotion. C’était la première fois que je lisais une histoire aussi réaliste, bien plus réaliste que les aventures de Tintin. Les premières pages m’ont terrifié ! », se souvient Jean Van Hamme. Mortimer est son personnage préféré. Il le confie dans un documentaire sur Blake et Mortimer pas encore diffusé que l’éditeur a fait réaliser pour le 75e anniversaire de la publication. Jean Van Hamme trouve de la fadeur et de la froideur à son acolyte, Francis Blake. Dans le nouvel album, il fera même assumer à Francis Blake, devenu un « super-flic », la possibilité de faire supprimer Mortimer par les services secrets anglais si l’histoire tournait mal. Shocking ? Non, Jean Hamme insuffle ce réalisme qui l’avait tant séduit jeune lecteur. Et il le pousse un peu plus loin. Il l’actualise sans le trahir. En 75 ans, le monde de la BD a évolué, les pudeurs, la censure et les héros aussi.

L'humour versé comme une larme de whisky

Ce qui change aussi avec bonheur c’est la présence, on peut même dire l’arrivée de l’humour dans la série. L’ambiance « so british » recherchée par Jacobs n’a pas poussé son créateur à inclure l’humour dans la série qu’il soit britannique ou belge d’ailleurs. « Dans les albums de Jacobs, l’humour n’est pas fréquent. J’en ai ajouté un soupçon et j’en profite pour régler mes comptes avec les deux héros », avoue Jean Van Hamme. L’humour est versé comme une larme de whisky. Jean Van Hamme connait les ressorts de la mécanique jacobsienne. Il s’en amuse et incise quelques fantaisies comme avec Marge, collaboratrice zélée prête à faire don de son corps pour sa Gracieuse Majesté. Un pas de côté qui permet au récit de se situer au-delà de la simple copie façon Jacobs. Une distanciation faisant passer subtilement l'album dans le registre de l’hommage.

Jean Van Hamme, scénariste du Dernier Espadon (Paris, nov. 2021 / Photo F. Forget).

Le roastbeef est trop cuit

Résumons donc ce Dernier Espadon. Des nazis alliés à des républicains irlandais, un projet d’attentat touchant au symbole de l’Empire, un engin patrimonial de l’univers de Jacobs et des références respectueuses ou amusées à l’album Le Secret de l’Espadon. Teun Berserik et Peter Van Dongen sont pour l’occasion les deux dessinateurs. Le duo a réalisé précédemment deux tomes de la série avec La Vallée des immortels. Leurs traits progressent au fil des tomes et ils font encore une fois dignement leur travail. La recette du Dernier Espadon semble donc excellente, meilleure que celle du Centaur Club, le club chic de Blake et Mortimer où le roastbeef anglais est toujours trop cuit.

Première case de la 28e aventure de Blake et Mortimer (Editions Blake et Mortimer).

Dans le tiercé gagnant après Jacobs

Ce 28e tome fait incontestablement partie des trois meilleurs albums après le décès de Jacobs en 1987 à 83 ans. En 2019, il y a eu Le Dernier Pharaon dont le brillant François Schuiten a assuré le dessin et une partie du scénario. Avant, en 1996, il y avait eu L’Affaire Francis Blake du regretté Ted Benoit au dessin. Certainement l’album le plus réussi graphiquement, succès critique et commercial qui a relancé la série avec, au scénario, déjà un certain Jean Van Hamme.

Le Dernier Espadon. Blake et Mortimer Tome 28.  Jean Van Hamme, Teun Berserik et Peter Van Dongen. Editions Blake et Mortimer. 16 euros.