Au Portugal, sous la dictature de Salazar, un homme va s’emparer de sa liberté. Nicolas Barral livre au scénario comme au dessin une bande dessinée subtile sur l’engagement.
Bien loin des scénarios à grosses ficelles
La BD politique est un genre qui peut être casse-gueule. Il peut vite virer au manifeste avec des intentions si apparentes qu’elles affaiblissent le propos. La bande dessinée du « réel » ou de « reportage » sombre parfois dans ce travers qui, par sa forme, gâche le fond. Les profils manichéens des personnages, les certitudes assénées à longueur de cases, l’absence de pluralisme dans les points de vue ou les scénarios à grosses ficelles sont les écueils du genre.
Lisbonne, été 68
Nicolas Barral ne fait rien de tout ça. Sur un air de fado est son premier album en solo. Il a réalisé le scénario et le dessin. L’album est une merveille de subtilités. L’histoire est celle d’un "héros" ordinaire. Fernando Pais est médecin. Il vit au Portugal en 1968. Le pays est sous le joug de la plus longue dictature du 20e siècle en Europe qui ne sera brisée qu'en 1974 par la "révolution des oeillets". L’été donne à Lisbonne des couleurs aussi chaudes que mélancoliques. Fernando assiste parfois aux contrôles, aux brimades et aux violences. Mais la vie a lissé le bonhomme, il est devenu un spectateur désengagé. Après tout, Fernando ne vit pas trop mal.
Le fado en musique de fond
Alors qu’est-ce qui va pousser ce citoyen docile à rompre avec son quotidien aigre-doux ? La réponse est à chercher dans le titre de l’album. Le fado est une musique faite de tristesse qui parle aux êtres et à leurs déchirures. Elle se diffuse sous le régime salazariste. « C’est la fatigue de l’âme forte », écrit sur le fado le poète portugais Fernando Pessoa. Elle chante les amours perdus et ce destin qui accable. La lassitude, la passion et le temps vont faire basculer Fernando à petits pas, lui qui se croyait immobile dans une société figée.
De Blake et Mortimer à Nestor Burma
Sur un air de fado est une formidable bande dessinée sur l’engagement. Pas celui des héros victorieux qui peuplent les romans nationaux. Non, l’album nous parle de l’engagement des demi-lâches, des presque audacieux et des courageux par intermittence. Tout en nuances et dégradés qui vont du meilleur au pire et du pire au meilleur. Par sa justesse cette fiction touche au réel, décrivant des parcours de « héros » qui ne sont ni tous des résistants ni tous des salauds. On est heureux de retrouver Nicolas Barral dans un registre aussi sensible. Dessinateur désopilant dans ses parodies de Blake et Mortimer (Les Aventures de Philip et Francis) ou de Sherlock Holmes (Baker Street) et remarquable repreneur après Tardi des adaptations de la série Nestor Burma de Léo Malet, l’auteur montre ici toute l’étendue de son talent. Il n’exclut pas une suite à ce récit qui se termine sur un départ.
Sur un air de fado. Scénario et dessin de Nicolas Barral. Editions Dargaud. 22,50 €