Un reportage en bande dessinée dresse un bilan implacable sur le fléau des algues vertes en Bretagne. Politiques, industriels de l’agroalimentaire et syndicats agricoles pris les mains dans la vase font pression pour enterrer l’ouvrage.
Voilà qu’un peu moins de deux cents pages de cases et de bulles font tressaillir le bon vieux socle armoricain. Sortie en juin 2019, Algues vertes, l’histoire interdite est une bande dessinée qui connait un succès avec plus de 45 000 exemplaires vendus. Et ça ne fait pas que des heureux. Grimaces, procès, menaces, lettre ouverte et tribune dans la presse, cette BD n’en finit pas de faire réagir et contre-réagir. Le sujet est sensible et les révélations stupéfiantes. Elles débordent même de la région, l’histoire a tout d’un scandale d’Etat.
Elles puent, polluent et tuent
Les algues vertes sont un problème majeur. Elles n’inquiètent pas seulement les estivants en quête de belles plages bretonnes. Depuis 1997, trente-sept zones du littoral ont été touchées. Les algues vertes puent par dégagement de sulfure d’hydrogène (H2S) à l’odeur caractéristique d’oeuf pourri. Elles polluent entrainant des dégradations sur le milieu naturel. Elles tuent aussi. Et pas seulement des sangliers, des chiens ou des chevaux. Un ouvrier est décédé en 2009 pour avoir transporté ces algues dans son camion.
Un vrai travail de journalistes
Inès Léraud, au scénario, a enquêté pendant plus de deux années sur cette pollution. Elle a, avec Pierre Van Hove au dessin, prépublié ce reportage dans La Revue dessinée avant d’en faire un livre aux éditions Delcourt. Un travail rigoureux, précis, basé sur des faits et des témoignages croisés. En résumé, un vrai travail de journalistes qui révèle au grand jour des vérités qui dérangent. En cause, l’agriculture intensive et ses nitrates outrageusement déversées dans les rivières et les cours d’eau. Et plus en aval, la puissante agro-industrie bretonne entretenant un système qui lui rapporte gros.
Privé de salon du livre et de traduction
Représentants de l’Etat, politiques, syndicats agricoles et industriels ont tenté et tentent toujours de minimiser, de nier, d’étouffer les responsabilités. Les procédés honteux ont des relents mafieux. On égare des preuves, on oublie de suivre des procédures, on perd le souvenir, on fait pression, on coupe des subventions, on menace. Inès Léraud connait les joies d’incessantes poursuites judiciaires. Un salon du livre la décommande après l’intervention d’un élu local. Sa BD ne sera pas traduite en breton comme le révèle la rédaction de France 3 Bretagne.
La toute-puissance de l'agroalimentaire
Face aux difficultés, au printemps, la défense s’organise. Une tribune d’un collectif citoyen en soutien à l’autrice est publiée le 8 mai dans Libération. Les intertitres sont explicites : « Doit-on laisser la Bretagne devenir le far-west ? » ou « Pressions et intimidations : la fabrique du silence ». Le 25 mai, une lettre ouverte de journalistes est adressée au président de région Loïg Chesnais-Girard. Y sont dénoncées l’omerta, l’auto-censure et les « difficultés d’informer correctement sur un secteur omniprésent dans notre région : l’agroalimentaire. ». L’ouvrage d’Inès Léraud et Pierre Van Hove semble avoir servi de révélateur sur des pratiques qui polluent le débat démocratique. La marée verte tourne à la nausée, y aurait-il quelque chose de pourri au duché de Bretagne ?
Algues vertes, l'histoire interdite. Inès Léraud & Pierre Van Hove. Editions Delcourt. 19 €.