L’auteur de Kid Paddle expose planches et toiles dans un nouvel espace, une galerie à Bruxelles de 1000 m2 consacrée à la bande dessinée.
Il faut y voir un signe du temps. Celui du marché des planches originales et dessins de bande dessinée. Sous les marteaux des commissaires-priseurs, Tintin s’envole vers des sommets sans cesse repoussés. Enki Bilal expose à la Biennale de Venise et voit, de son vivant, ses œuvres battre des records sur le marché de l’art. Il est fini le temps où les vendeurs sortaient de leurs cartons les dessins à quelques passionnés, les posant parfois à même le sol dans un joyeux fatras. Maintenant, il faut des cimaises et de l’espace.
De vastes murs blancs et de l'ambition
Il est vrai que certaines galeries historiques, notamment celle de Daniel Maghen sur les quais de Seine, souffrent du manque de place pour accompagner cet essor. A Bruxelles en Belgique, dans le quartier prisé d’Ixelles, Alain Huberty et Marc Breyne viennent d’ouvrir un espace de 1000 m2, une ancienne salle de sport où, dit-on, Jean-Claude Van Damme aimait à s’entrainer. De vastes murs blancs, de la lumière et un espace qui s’étire. Alain Huberty et Marc Breyne, qui possèdent déjà une galerie dans le cœur de Bruxelles au Sablon, ont de l’ambition pour leur nouveau lieu.
« Après une trentaine d’années dans le marché de la BD, nous avons voulu aller plus loin. Il y aura des expositions, des lancements d’albums, des performances, des rencontres entre BD et arts contemporains. Ce ne sera pas juste un endroit où des planches seront exposées et mises en vente. Nous voulons proposer aux artistes des projets avec des messages ou un rapport avec l’actualité », explique Alain Huberty. Et son compère, Marc Breyne, d’ajouter : « Au fond de la galerie, il y a un espace où il est prévu de faire tourner des expositions évènements sur quinze jours. Nous envisageons aussi de créer une résidence d’artistes. Actuellement, nous sommes sur un projet autour du mur de Berlin. Nous avons cette envie de créer ce nouvel espace pour exposer les artistes. »
Seul les auteurs les plus connus vont durer
Pour l’étrenner, Midam, de son vrai nom Michel Ledent, officie. Bien inspirés nos deux galeristes qui ont fait le choix de ce dessinateur aux huit millions d’albums vendus en vingt-cinq ans d’aventures pour Kid Paddle. L’équation est simple (Alain Huberty était professeur de mathématiques avant) : un dessinateur suivi par autant de fans est, à terme, un auteur dont les prix ont une forte probabilité de s’envoler. « Seuls les dessinateurs aux réputations bien assises vont durer. Le marché se structure autour des vraies valeurs artistiques. Aujourd’hui, ce qui se vend le mieux, ce sont les grands classiques comme Hergé, Franquin, Uderzo ou Moebius », précise Alain Huberty. Midam, en accrochant ses dessins à Bruxelles, suit les traces des grands. Et c’est mérité car, au-delà du potentiel spéculatif de l’artiste et du gag en une page de Kid Paddle, Midam a des choses à dire et à montrer sur notre société du marché.
Outre les planches de vos albums, vous exposez des œuvres originales et des peintures en grand format. Vous aviez envie de sortir de la BD ?
Midam : « Etre plié sur sa planche à dessin, huit heures par jour, six ou sept jours par semaine, est terrible. Sans parler de la dictature du gag en une page pour mes scénarios. Sortir des cases, pouvoir faire des peintures et des illustrations est une libération, une revanche. J’ai passé toute ma vie sur des cases de sept centimètres. En réalité, j’ai horreur des expositions où on présente des planches qui sont faites pour exister en album. Je trouve plus pertinent d’exposer de grandes illustrations en couleur.»
Sur ces illustrations, on y voit de la junk-food et des monstres posant devant des marques américaines. Kid Paddle est un héros geek qui évolue aussi dans le monde de la consommation. C’est un sujet qui vous préoccupe ?
« J’adore la société de consommation. A la maison, c’est moi qui fais les courses aux hyper-super marchés. Pendant une période de ma vie, j’ai été six ans au chômage. J’allais tous les jours chez Carrefour. C’est un monde, une micro société, où tout est conçu pour le client. Vous pouvez manger, vous reposer, il y a la sécurité qui veille. On s’occupe de tout pour vous. Et les galeries commerçantes sont d' énormes temples, des musées dédiés aux objets de consommation qui sont exposés pour la vente. Je regarde ça avec beaucoup d’intérêt ».
La société de consommation vous fatigue aussi et vous a incité à créer votre propre maison d’édition dans laquelle vous avez publié une série écolo Grrreeny ?
« Ma position est un peu hypocrite, c’est vrai. Chez les grands éditeurs, les commerciaux vous croisent et vous demandent : Tu n’as pas sorti de nouvel album cette année ? Oui, je comprends tu veux prendre du repos mais pense à la visibilité de ta série. Tu prends le risque de sortir des rayonnages des grandes surfaces qui ont prévu une case spéciale pour tes albums à raison d’une sortie par an. Tu fais comme tu veux mais penses y… c’est terrible cette pression, non ? Quant à Mad Fabrik, mon ancienne maison d’édition, elle est une aventure terminée. Je suis pour l’instant chez Glénat.»
Cette pression, vous ne l’avez pas en exposant des toiles à un public plus habitué à lire vos albums ?
« Faire de l’illustration est nouveau pour moi et amusant. Le plus important est qu’il y ait du répondant. Il faut du succès sans quoi je n’aurai plus de plaisir à le faire. C’est ce que je reproche parfois à certains jeunes auteurs qui se plaignent de ne pas bien gagner leur vie. Ils créent un syndicat, tout ça c’est bien mais ils ne peuvent pas imaginer qu’ils sont un produit. Et que s’ils ne vendent pas, c’est à cause du public qui a mauvais goût. Ils sont dans cette voie, ils vivotent. En fait, ils ne veulent pas rentrer dans cette société de consommation »
Exposition Midam New-Blork City. Galerie Huberty et Breyne. 33, place du Châtelain. Bruxelles. Jusqu'au 13 octobre 2018. Ouvert du mardi au samedi, de 11h à 18h.