Le dessinateur de Thorgal a touché le gros lot

Grzegorz Rosinski (Paris, juin 2017, photo F. Forget).

Grzegorz Rosinski a mis sous le marteau du commissaire-priseur 28 lots adjugés pour 614 900 euros. Du jamais vu pour le maître polonais qui prend le pactole avec distance.

C’était samedi 17 juin sur une riche avenue du 8ème arrondissement de Paris. Dans les locaux de la prestigieuse maison de vente aux enchères Christie’s. Deux beaux catalogues ont été édités pour l'occasion avec couvertures cartonnées et maquettes soignées. La galerie Daniel Maghen servait d’expert pour la vente qui s’annonçait prometteuse. Une partie des enchères était consacrée uniquement à Grzegorz Rosinski. Toutes les œuvres présentées n’avaient jamais circulé dans les salles de ventes auparavant. Et pour cause, elles provenaient directement de la collection personnelle de l’auteur.

L'exposition Rosinski à la salle des ventes de Christie's (Paris, photo F. Forget).

L'exposition Rosinski à la salle des ventes de Christie's (Paris, photo F. Forget).

Un trésor de trente-deux lots (quatre n’ont pas trouvé preneurs). De nombreuses planches de Thorgal mais aussi du Grand pouvoir du Chninkel, La complainte des landes perdues ou La vengeance du comte Skarbek. Le record a été adjugé pour une planche de Les Archers, neuvième album de Thorgal publié en 1985. Un épisode épique de la saga où le héros fait la rencontre de la sulfureuse Kriss de Valnor. Au total près de 615 000 euros pour un dessinateur hors pair qui a tracé sa carrière autour d’une grande série signée au scénario par Jean Van Hamme. Grzegorz Rosinski ne voulait pas assister à la vente. Il est passé à Paris quelques jours avant pour le vernissage de l’exposition qui la précédait puis s’en est allé en vacances au soleil…

Extrait de la planche record de Thorgal adjugée 49 400 euros.

Extrait de la planche record de Thorgal adjugée 49 400 euros.

Trente deux de vos planches ou illustrations mises sur le marché d'un coup, sur une seule vente, c’est la première fois que ça vous arrive ?

Grzegorz Rosinski : C’est la première fois que je vends directement mon travail. J’ai enfermé Daniel Maghen trois jours dans ma cave et il a choisi. Moi, je n’ai jamais travaillé pour les galeries. Ma femme n’a pas le même regard sur ma production. Elle a commencé à garder tous mes croquis, mes dessins. Elle a eu raison je crois.

Raison de quoi ? De garder pour vendre ou de ne pas jeter votre travail ?

Tout ça n’a jamais été destiné à être vendu. Ce n'était qu’une étape intermédiaire avant l’impression. Il m’est arrivé de faire cadeau d’une planche, d'être reconnaissant en offrant un dessin. Mais mon but n’est pas de vendre des originaux, mon but reste de faire des livres.

Extrait du Grand pouvoir du Chninkel, planche adjugée à 42 900 euros.

Extrait de Le Grand pouvoir du Chninkel, planche adjugée à 42 900 euros.

Vendre des originaux est aussi maintenant une source de revenus pour les auteurs, non ?

Vous savez, je vis convenablement de mes droits d'auteur issus de mes livres. Je préfère être lu par un million de gens qui me payent chacun un euro que de recevoir un million de la vente de mes planches. Le dessin est une passion pour moi. Quand j’ai commencé, j'aurais payé pour faire de la BD. Je n’ai jamais été intéressé par être riche. Jean Van Hamme m’a dit au début que nous serions avec Thorgal riche ou célèbre. On a partagé cette phrase. Il a choisi d’être riche et pour moi c’est la célébrité.

D’accord, vendre ne vous enthousiasme pas mais il y a quand même ce plaisir d’être exposé avant, d'être vu ?

Oui, ça me plaît de faire plaisir aux gens et particulièrement à ceux qui ne sont pas du milieu de l’art. Je communique avec le public par l’image, c’est merveilleux. Le langage visuel me passionne depuis ma jeunesse, il me sert à échanger. Une fois, une vieille dame qui avait mon âge est venue me trouver pour me dire qu’elle avait tous mes albums, qu’elle me suivait depuis le début. Ça m’a ému. Transformer un peu la vie des gens, y mettre un peu de couleurs, je trouve ça formidable.

Extrait d'une planche de La Vengeance du Comte Skarbek.

Extrait d'une planche de La Vengeance du Comte Skarbek.

Et il y a les collectionneurs…

Ce sont des gens passionnés. Moi aussi un moment, j’ai collectionné les plumes pour l'écriture, la calligraphie. Je comprends ce phénomène même si maintenant je ne collectionne plus rien, j’ai arrêté. Et puis qu’est ce qui est plus rare qu’un objet fait à la main comme un tableau ou un dessin ?

Cette vente met aussi en lumière toute la variété de vos techniques, pastels, encre de Chine, crayon gras, huile sur toile, aquarelle. Vous avez même utilisé du Coca-Cola ?

Oui c'est vrai pour La Vengeance du Comte Skarbek. C’est une façon d’explorer pour moi et je n’aime pas me répéter. Si j'avais conservé toujours la même technique, j’aurais eu l’impression de me copier moi-même. Je suis étranger à toute logique. Si une technique me plaît ou si je réussis à bien dessiner avec, ce n’est pour autant que je vais la conserver. D’ailleurs j’ai fait beaucoup trop de peinture ces derniers temps et je vais abandonner. Je suis peut-être allé trop loin. Je vais me libérer et je vais revenir au trait sur les prochains albums.