Conférence de presse annulée, assemblée générale amputée et désaccord tenace autour de la prochaine édition du festival d’Angoulême. L’euphorie liée au succès de l’édition 2017 semble être déjà de l’histoire ancienne.
Après une édition 2016 gâtée par les polémiques et les couacs, celle de 2017 a la saveur d’un festival millésimé. Un Grand cru classé même, le monde des bulles semblant fin janvier heureux et satisfait. La presse enthousiaste, sur le papier comme sur le web, titrait sur le succès de l’édition tout juste achevée. Les éditeurs, et pas des moindres, comme Dargaud se disaient très heureux. La ministre de la Culture en personne se félicitait elle aussi publiquement de la bonne fortune de cette 44ème édition. Audrey Azoulay saluant avec enthousiasme « l’engagement de toutes les parties prenantes, publiques et professionnelles ».
C’est vrai qu’ils étaient radieux ces jours à Angoulême. Le président du jury était une présidente, Posy Simmonds. L’auteure de Tamara Drews coupait ainsi cours à toute polémique sur l’androcentrisme du 9ème art. Les expositions étaient de qualité. Celles sur Hermann ou Valérian ont connu les faveurs du public. L’exposition sur Will Eisner n’a pas déçu. La plus réussie est, à mon avis, celle du Château des étoiles, une bande dessinée d’Alex Alice aux éditions Rue de Sèvres. La scénographie très soignée était remarquable. Les organisateurs ont d’ailleurs eu la bonne idée de la prolonger jusqu’au 5 mars, en accès libre et gratuit. Et cerise helvète sur le gâteau angoumoisin, l’attribution du Grand prix à Cosey a fait la quasi-unanimité chez les auteurs.
Mais le vent a tourné dès le 31 janvier. Une conférence de presse était prévue. Elle devait présenter la nouvelle Association pour le développement de la bande dessinée à Angoulême. Une entité imaginée par les pouvoirs publics après la crise du festival 2016. Son but : « Assurer une meilleure coordination et une meilleure implication des partenaires dans les orientations importantes du festival ». Cette association devait travailler avec les véritables propriétaires du festival que sont l’association fondatrice du festival qui détient la marque FIBD (Festival International de Bande Dessinée d’Angoulême) et la société organisatrice 9ème art+. Cette dernière est une entreprise privée. Elle a contractuellement la charge d’organiser la grande messe. Une large responsabilité qui va de la création des expositions aux remises de prix en passant par les stands marchands des éditeurs. Mais l’optimisme régalien sur la création d’une nouvelle association a buté sur les réalités charentaises. Puisque de conférence, il n’y en eut point pour cause de désaccord profond.
« Nous ne reconnaissons pas cette nouvelle association en l’état actuel de ses statuts. Elle n’est pas légitime. Nous considérons qu’il y a un vrai risque d’influence de cette structure sur la ligne éditoriale du festival. Et ça, nous ne l’acceptons pas », explique Franck Bondoux, délégué général de 9ème art+. En résumé et à mots couverts, 9ème art+ reproche à la nouvelle association d’être le sous-marin des gros éditeurs. Ceux-là mêmes qui ont menacé de boycotter le festival en 2016. Des éditeurs qui se plaignent depuis plusieurs années de payer pour un festival qui ne leur ressemble pas. Trop élitiste dans ses choix. Les débuts sont donc difficiles pour l'Association pour le développement de la bande dessinée à Angoulême censée assurer la médiation et réunir tous les intervenants dans le « sens du dialogue ».
Hier, 21 février, la première « assemblée générale constitutive » de la nouvelle association a quand même eu lieu. L'Etat, la ville et son agglomération, le département, la région, des organisations professionnelles et des syndicats d'éditeurs et de d'auteurs étaient représentés. Mais ni l’association du FIBD, ni 9ème art + n’étaient présentes. Ce qui n'a pas empêché la nomination du président, Bruno Racine. Enarque et haut fonctionnaire de 65 ans, président du Centre Georges-Pompidou en 2002 puis en 2007 et pendant 9 ans de la Bibliothèque nationale de France. C’est un homme qui avoue ne pas aimer le conflit, préférant la conciliation et les consensus. Pour Franck Bondoux, " il faut que la nouvelle association joue son rôle de think tank comme nous l’avait assuré Audrey Azoulay. Qu’elle soit un endroit de dialogue et non pas un espace de contingences et de contraintes. Nous ne voulons pas être le bras armé marketing de qui que ce soit. Le festival est une photographie de l’état actuel de la BD et doit le rester ". Bruno Racine va devoir donc user de ses qualités pour ramener tout le monde autour de la table. La médiation ne fait que commencer…