Chris Ware, Manu Larcenet et Cosey en finale pour le Grand Prix d’Angoulême

Trois noms, trois talents retenus par les auteurs de BD qui ont voté au premier  tour de l’élection qui vise à attribuer la récompense ultime du Festival d’Angoulême. Suspense, le deuxième tour s’annonce serré…

L’expression démocratique a du bon. La preuve avec le Festival d’Angoulême qui a changé depuis l’année dernière son mode de désignation du Grand Prix. Place au suffrage. « Tout.e auteur/autrice de bande dessinée professionnel.le, quelle que soit sa nationalité, dont les œuvres sont traduites en français et diffusées dans l’espace francophone » est appelé à voter pour élire le Grand Prix de la ville d’Angoulême. 970 d’entre eux se sont exprimés pour le premier tour. L’année dernière, c’était Hermann le vainqueur et cette année ce sera donc l’un des trois désignés.

Cosey, l'auteur de Jonathan en lice pour le Grand Prix d'Angoulême (Photo @ Francis Forget).

Cosey, l'auteur de Jonathan en lice pour le Grand Prix d'Angoulême (Photo @ Francis Forget).

Pourquoi s’en réjouir ? Parce que ce nouveau système a débloqué une désignation qui souffrait auparavant de coteries, de copinages et de rivalités. Un système qui écartait de fait de grands noms du 9ème art. Celui d’Hermann circulait depuis des années et avait toujours été éliminé en finale pour de sombres querelles personnelles. Celui de Cosey revient aussi régulièrement depuis des années. L’auteur est moins « clivant » qu’Hermann pour faire dans la métaphore politique. Mais il n’a jamais pu passer le cap ultime. Et c’est bien dommage. Cosey est devenu un auteur de patrimoine avec sa série Jonathan qu’il a créé en tant que scénariste et dessinateur en 1975. Jonathan, c’est un peu le roman graphique avant l’heure. Tous les éléments de ce style très en vogue aujourd’hui y sont déjà. Une BD pour les grands et pas seulement jeunesse. Un regard personnel avec une narration posée et réfléchie qui fait place au ressenti, au sensible. Moi, j’adore en plus ses couleurs. Jonathan se déroule principalement autour du Tibet, de l’Inde et du Népal. Cosey n’est pas l’homme que d’une série. Il a usé ses crayons sur d’autres décors avec de beaux albums comme pour A la recherche de Peter Pan qui se situe dans les Alpes (1985, Editions Le Lombard) ou Le voyage en Italie (1988, Editions Dupuis). Il a repris cette année le personnage de Mickey dans Une mystérieuse mélodie, un album hommage au personnage de Disney paru aux éditions Glénat.

Manu Larcenet (Photo @ Dargaud-Rita Scaglia).

Manu Larcenet (Photo @ Dargaud-Rita Scaglia).

Manu Larcenet est un auteur de la génération d’après. Celle de Sfar ou Riad Sattouf. Il est un peu moins connu du très grand public que Sfar ou Sattouf. Peut-être est-ce parce qu’il n’a pas (encore) réalisé de film? Il n’a cependant rien à envier en terme de talents aux deux stars. Je vous avais parlé d’une de ses précédentes séries Blast, un chef d’œuvre paru aux éditions Dargaud (2009-2014). Son dernier dyptique, Le rapport de Brodeck, est une autre merveille. Publiée cette année, elle est une adaptation du roman de Philippe Claudel. Manu Larcenet sait aussi manier l’humour en BD avec plusieurs albums chez Fluide glacial et un spin-off désopilant sur Valérian aux éditions Dargaud, L’armure du Jakolass, album humour-hommage au personnage créé par Mézières et Christin.

Chris Ware (photo @ Jorge Fidel Alvarez-9e Art+)

Chris Ware (photo @ Jorge Fidel Alvarez-9e Art+)

Chris Ware est l’auteur venu de l’étranger. Avec le scénariste Alan Moore qui avait été aussi sélectionné par le vote mais qui a décliné d’avance la récompense. « Alan Moore figurait, à l'issu du premier tour, parmi les trois auteurs plébiscités et bien qu'il soit heureux et fier de cet honneur, il ne souhaite plus participer à la vie publique de la bande dessinée ou recevoir de prix » apprend-on par le communiqué de presse du Festival. Donc Chris Ware sera the Man. Auteur américain né en 1967, il a fait ses débuts dans Raw, revue arty du grand Art Spiegelman, l’auteur de Maus. Jimmy Corrigan est son personnage le plus connu et le plus reconnu : prix Eisner, American Book Award, Alph art du meilleur album, prix de la critique de l’ACBD… et j’en oublie au moins une bonne poignée. Chris Ware a un style graphique bien à lui, inspiré de la ligne claire qu’il dépasse et transgresse. Par les cadrages, le découpage, l’alternance ou la répétition des plans. Les textes intrusifs pénètrent les cases, colonisent la planche donnant graphiquement un autre rythme au récit. Chris Ware est un génial novateur, il a sa place au panthéon d’Angoulême.

Alors qui sera l’élu ? Le score était très serré au premier tour. Les auteurs ont maintenant jusqu’au 22 janvier pour voter une seconde fois. Le Grand Prix sera dévoilé lors de la cérémonie d’ouverture, mercredi 25 janvier à 18 heures.