Dans La Terre promise, le cow-boy solitaire traverse les Etats-Unis en escortant une famille de migrants juifs venant d’Europe de l’Est. Une idée de Jul, l’auteur de Silex and the city, devenu pour le 70ème anniversaire de Lucky Luke le nouveau scénariste de la série.
Ne dites pas de Jack-la-Poisse qu’il est cow-boy dans le Far West, sa mère juive le croit avocat à New-York. Jack-La-Poisse est un bon gars avec une allure de vieux garçon vacher, le chapeau troué par les balles et le jean rapiécé au postérieur. « Je ne tiens pas trop à ce que ma famille me voie dans cet état… je n’ai jamais osé avouer à mes parents que j’étais cow-boy », se confie-t-il à Lucky Luke en début de l’album. Le héros au grand cœur créé par Morris ne peut pas refuser ce service : accompagner la famille de Jack qui débarque de Pologne, des Juifs ashkénazes qui viennent émigrer dans le Grand Ouest américain. Un périple qui leur fera traverser le continent du grand port fluvial de Saint-Louis dans le Missouri à Chelm City dans le Montana.
Lucky Luke, sur les Juifs, ne sait rien ou presque. « C’est le peuple du Colt qui rencontre le peuple du Livre », explique le scénariste. Un choc culturel pour le héros qui se demande, en attendant la famille de Jack, à quoi reconnait-on un Juif. Torah dans les bagages, large chapeau noir et barbe blanche, le père de Jack est un religieux qui ne manque pas un shabbat même en plein désert. Il est accompagné de son épouse, caricature de la mère juive alimentant jusqu’à plus faim Luke Lucky de ses carpes farcies. Il y a aussi le jeune neveu, Yankel, en attente de sa bar-mitsvah et sa sœur Hanna qui en pince pour le cow-boy célibataire.
Un équipage hétéroclite pour un voyage garni de péripéties où chacun va apprendre le « vivre ensemble » pour reprendre une expression actuelle. « Je crois qu’il y a une portée politique… une ode à la tolérance dans une France en pleine crise, qui se déchire sur l’identité nationale, les minorités, avec un Front national à 40%. Et notre planète à feu et à sang. Il me semble que les auteurs doivent se poser les questions sur ce que contiennent leurs créations », répondait Jul au magazine spécialisé de BD Casemate lors d’une interview en février. Il fallait s’y attendre. Jul est un auteur en prise directe avec l’actualité, pasticheur de notre société et de ses travers comme dans sa série Silex and the city. Il ne pouvait concevoir un Lucky Luke hors-sol, déconnecté de nos vies d’aujourd’hui comme l’ont été les précédents albums de la série réalisés au scénario par Laurent Gerra ou Daniel Pennac. Ce qui est d’une certaine manière assez fidèle à l’esprit de Goscinny qui a signé les plus savoureuses histoires de Lucky Luke.
Mais le sujet est sensible. Et il a fallu du métier et du talent pour rester dans le registre du comique et ne pas sombrer dans le pire. Il y a les Indiens Blackfoot, des Pieds-Noirs cousins américains des Juifs séfarades, le saloon Kascher baptisé Shabbat saloon, un clin d’œil à Louis de Funès dans Les aventures de Rabbi Jacob… Bons mots, gags et clichés rigolos parsèment le récit d’une aventure bienveillante qui se lit avec le simple plaisir d’en rire. Quant au graphisme, le trait d’Achdé reste dans l'esprit de celui de Morris. La Terre promise se range donc dans la catégorie plutôt réussie des albums sans Morris et Goscinny. En refermant ce nouvel opus, vous pourrez peut-être avoir le sentiment d’une BD où les situations comiques et les jeux de mots s’empilent sur la trame d’un scénario un poil léger. Il manque encore un peu de ressort au récit. Laissons à Jul le temps de s’installer dans la tâche ardue de repreneur d’une série culte. Il signera le prochain album. Pas facile de faire mouche au premier coup avec un homme qui tire plus vite que son ombre.
La Terre promise, les aventures de Lucky Luke d'après Morris T7, de Jul et Achdé. Editions Lucky Comics. 10,60 €