Il n’y pas que les westerns et leurs cow-boys qui font les succès en bande dessinée. De superbes albums donnent un autre regard, loin de la caricature, sur les populations amérindiennes et la rencontre avec l’Homme blanc.
Depuis 4 ou 5 ans, le western a fait son grand retour au rayon BD. Les succès s’enchaînent avec, il est vrai, des albums plutôt réussis comme pour la série Undertaker. Plus de 150 000 exemplaires pour les deux tomes parus avec un thème original, les tribulations d’un croque-mort, signés par un duo de talent Xavier Dorison au scénario et Ralph Meyer au dessin. Au fil des planches, des colts, des saloons, de la poussière et des salauds… Efficace comme une Winchester mais centrée sur le cow-boy et sa conquête de l’Ouest.
Si l’envie vous prend d’aller voir ailleurs, prenez le sentier des Indiens en bande dessinée. De beaux albums font le récit de ces peuples autochtones et de leurs rencontres avec les colons. Au catalogue, il y a l’adaptation au graphisme époustouflant du Dernier des Mohicans réalisée par Cromwell. Le talent du dessinateur explose sur chacune des planches qui auraient mérité une édition en plus grand format. L’album est sorti en 2010 mais il peut être lu et relu tant l’expérience narrative et graphique est exceptionnelle.
Dans un style plus classique, Jacques Terpant réalise en ce moment Capitaine Perdu, une série dont le second tome sortira le mois prochain. L’histoire se situe à la fin du 18ème siècle à un moment peu mis en lumière dans nos manuels d’histoire. Lorsque le Roi de France lâche l’Amérique aux Anglais. Des Amérindiens vont alors se soulever, prendre les fortifications abandonnées par nos compatriotes avec dans leurs troupes les Français qui restent. Jacques Terpant avait adapté précédemment deux romans de Jean Raspail, Sept Cavaliers et Le Royaume de Borée. Il signe, avec Capitaine Perdu, une fresque élégante en couleurs directes avec le souci du détail historique et une nature majestueuse, puissante.
C’est aussi une histoire de Français et d’Indiens que Patrick Prugne met en scène dans son dernier album Iroquois, paru aux éditions Daniel Maghen. Le titre se place dans les meilleurs ventes d’album de cette rentrée selon Livre Hebdo et dans le réseau des librairies spécialisées Canal BD. Et pour cause, l’auteur est graphiquement à l’acmé de son talent. Il va encore plus haut que dans ses deux précédents albums, Canoë Bay et Pawnee. Nous sommes en 1608, sur les rives du Saint-Laurent. Le fondateur du Québec, Samuel de Champlain, va mener une expédition en territoire Iroquois avec, à ses cotés, Hurons, Algonquins et Montagnais.
Pourquoi un album sur cet épisode précis de l’Histoire de l’Amérique ?
Patrick Prugne : "Ce qui me passionne, c’est la rencontre entre les cultures. A cette époque, deux mondes se sont rencontrés. Un jeune Normand de la France d’Henri IV pouvait ainsi se retrouver face à un Huron ou un Iroquois. Pour moi, c’est l’aventure à l’état pur. "
Tout est réel dans votre récit ?
P.P. : "L’expédition de Champlain a bien eu lieu et la confrontation avec les Iroquois aussi. Mais j’ai inventé quelques personnages. La prisonnière iroquoise, Petite Loutre, n’a pas existé ainsi que l’aventurier basque bien qu’il y avait beaucoup d’Espagnols qui faisaient le commerce des peaux à cette époque."
Vous ne faites pas de portraits idéalisés des personnages de l’époque, pas de « bons sauvages » ni de colons sans cupidité…
P.P. : "Certains m’ont reproché de ne pas prendre parti dans cette bande dessinée. Je ne le voulais pas. Les Indiens n’étaient pas des bisounours. Il y avait des massacres. Et Champlain avait pour projet de développer son commerce. Il voyait bien que tout autour, les Anglais et les Hollandais s’y mettaient. Il voulait implanter une colonie française mais il ne considérait pas les populations autochtones comme des sous-hommes."
Dès qu’on ouvre votre album, on est saisi par l’ambiance et la force des paysages. Vous avez beaucoup travaillé votre dessin dans ce sens ?
P.P. : "Dans une BD, on n’est pas au cinéma. Il faut donner le tempo de l’histoire autrement. Et pour ça, je voulais travailler en ambiance et en atmosphère. La mise en couleurs directes à l’aquarelle permet ce travail. Je n’y suis pas arrivé tout de suite. Je m’en suis servi pour rendre cette ambiance vaporeuse. Il fallait que le lecteur ressente cette immensité, cette nature imposante et mystérieuse. J’essaie de mettre mon dessin au service d’une histoire."
Dans Iroquois, on en est encore au tout début de l’histoire de cette rencontre entre Indiens et colons européens. La suite pourrait être l’objet d’une autre de vos bandes dessinées ?
P.P. : "Je préfère les histoires de trappeurs, avant la naissance des Etat-Unis. A partir de sa création en 1786, les Indiens vont vraiment dérouiller. Cela devient terrible pour eux avec les réserves et les déportations. Ce serait bien d’en faire une BD mais je n’en ai pas envie. Je prendrais très franchement parti. Je ne veux pas me retrouver dans ces ambiances, ces ghettos. Il n’y aura d'ailleurs pas d’Indiens dans mon prochain album. Mais il y aura toujours de l’aventure et de l’Histoire."
Pour compléter ce voyage en bulles indiennes, une exposition temporaire au Musée de l’Emigration française au Canada à Tourouvre, près d’Alençon dans le Perche. L’une des salles évoque à travers une quarantaine de planches cette rencontre entre Amérindiens du Canada et Européens. Des dessins d’André Juillard et des reproductions de Jacques Terpant, Maryse et Jean-François Charles, Cromwell, Nicolas Debon ou encore Patrick Prugne y sont présentés. Très honnêtement, je n’ai pas encore vu cette exposition. Je mettrai un commentaire en bas de cet article après y être allé avant sa fermeture fin octobre.
Le dernier des Mohicans. Cromwell / Editions Soleil. 18 €
Capitaine Perdu. Jacques Terpant / Editions Glénat. 14,5 €
Iroquois. Patrick Prugne / éditions Daniel Maghen. 19,5 €