Inspirée de faits réels, Rio est une BD coup de poing. Portrait sans concession d'une ville à travers le destin d'enfants des rues, bien loin de la fête olympique.
Le trait réaliste de Corentin Rouge, le dessinateur de la série, est d'une efficacité évidente. Le style est maîtrisé. Les cadrages et la mise en couleurs aussi. L'alternance des valeurs de plans, les plongées, contre-plongées, gros plans ou vues aériennes donne de la cadence au récit. Des qualités déjà présentes dans Juarez, l'excellent précédent titre de l'auteur. Corentin Rouge nous y dressait déjà le portrait d'une ville d'une cruauté sans nom. Juarez est une cité au nord du Mexique pourrie par les cartels et le narcotrafic. On estime que 2000 meurtres ou disparitions de femmes y ont été commis depuis vingt ans. Ici aussi le récit est une fiction, celui d'un frère qui se bat pour retrouver sa sœur. Avec la scénariste Nathalie Sergeef, Corentin Rouge nous amène avec justesse au cœur de la cité des feminicidios, meurtres dont l'abject mobile est l'appartenance au genre féminin.
Avec Rio, changement de scénariste. Le dessinateur s'est associé à Louise Garcia. Elle est née au Brésil, à Niteroi dans l'état de Rio de Janerio. Elle a grandi dans cette ville. Corentin Rouge va régulièrement à Rio, où il prend des photos, noue des contacts. De ces voyages, lui est venue l'envie de dessiner la ville. Le sort des enfants des favelas constitue la trame réaliste du récit de Rio. Tout commence par le meurtre de la mère du jeune Rubeus. Un flic véreux, violent et amant de sa mère en est l'auteur. Rubeus assiste à la scène. À partir de là, c'est la chute pour Rubeus et sa sœur cadette, Nina, qu'il tente de protéger. Les deux jeunes orphelins vont se retrouver à la rue, en dérive miséreuse avant de rejoindre un gang d'enfants en guenilles. Tout est plausible dans le destin de ces enfants. Même si les auteurs concèdent qu'ils n'ont pas fait le récit des violences sexuelles que ces mineurs subissent très fréquemment.
Un parcours qui dresse le portrait d'une société métissée emprunte d'inégalités sociales et de religion. Ou le dénuement et la violence côtoient le rêve carte postale des plages de Copacabana. L'histoire fait tristement écho au réel. Il y aurait, selon plusieurs organisations humanitaires, 1500 enfants des rues à Rio. Et quatorze enfants et adolescents sont tués chaque jour dans les rues du Brésil. Le prochain tome de Rio sortira en octobre. La série est prévue en quatre albums. Ils complèteront le voyage dans les couches de la cité au Christ rédempteur : la grande bourgeoisie, le milieu policier ou les sphères politiques. Pour le tome 2, dix années se seront écoulées dans la vie de Rubeus et Nina. L'adoption par une famille aisée est peut-être la solution pour se sortir du caniveau. A moins que le passé ne les rattrape. Peut-on à Rio échapper à sa condition ?
Rio, tome 1 Dieu pour tous & tome 2 les yeux de la favela ( à paraître en octobre), Corentin Rouge et Louise Garcia / Éditions Glénat. 15€ l'album.
Juarez, Corentin Rouge et Nathalie Sergeef / Éditions Glénat, 15€.