Quand le Nord batifole et le temps se cherche, on perd délicieusement ses repères avec Azimut. Une histoire fantastique et drôle dirigée par un duo au zénith, Wilfrid Lupano et Jean-Baptiste Andreae.
Connaissez-vous les Anthropotames du Nihil ? « Ils sont là pour toujours, dans cette eau tiède, tellement présents qu’ils en sont absents, détachés de tout…puisqu’avec la vie éternelle, l’urgence de vivre les a quittés » explique le sauvage roi Bââmon dans le troisième volume d'Azimut qui vient de paraître. Les Anthropotames ont l’apparence de lourds mammifères marins. A force d’avoir pour toujours l’avenir devant eux, ils en sont devenus maladivement procrastinateurs. Repoussant sans cesse à plus tard ce qu’ils n’ont plus la vitale nécessité de faire le jour même. « Leur présence nous rappelle à chaque instant comme il est doux d’être mortel » complète le roi aux allures de chef de guerre maori. Le plaisir de mourrir, voilà l’enseignement du Nihil.
La direction que nous fait prendre Azimut est bien celle du conte philosophique un peu braque et qui ne se prend pas au sérieux. L’enjeu, c’est le temps. Celui de l’argent, de la jeunesse, de la mort ou des amours éternelles. Une quête mystique pour les multiples personnages qui peuplent ce récit. Entre autres, la belle Ganza qui a troqué des siècles contre des milliers de morts. Le professeur Aristide Breloquinte fantasque scientifique à bord de son navire steampunk. Eugène, amoureux éconduit et peintre monomaniaque. Baba Arbiche, pirate du désert, qui se ferait bien en tajine un lapin blanc fleur bleue incarnation vivante du pôle nord magnétique. Une galerie burlesque de personnages qui fait partir l’histoire dans tous les non-sens. Lapin aidant, on pense évidemment à Lewis Caroll.
Wilfrid Lupano démontre une fois de plus qu’il a du talent dans des registres bien différents. Depuis quelques temps, le scénariste accumule succès en librairie et récompenses en festivals. Les Vieux fourneaux, 540 000 albums vendus pour les trois tomes parus. Une irrévérencieuse série où les héros sont des vieux. Elle a reçu le Prix du public au Festival d’Angoulême en 2015 et le prix des libraires de BD l'année d'avant. Ma révérence récompensé d’un Fauve polar au festival d’Angoulême en 2014. Un album d’ailleurs plus chronique sociale que polar. Un océan d’amour, fable écolo et prix de la BD Fnac en 2015…
L’autre valeur ajoutée est le formidable travail du dessinateur Jean-Baptiste Andreae. Tout en couleurs directes, le trait et le pinceau de l’auteur développent le fantastique du récit. Technologiquement, l’univers d’Azimut se situe dans un XIXe siècle finissant et fantasmé. Les machines rétrofuturistes ont d'extravagantes mécaniques. Andreae donne vie à ses personnages avec détails et finesses. Les visages sont expressifs et drôles. Le travail sur les couleurs est aussi remarquable. Le dessinateur arrive à combiner douceur et éclat des couleurs. La note est parfaite pour Andreae. Elle l’est pour l’ensemble de cette série qui compte déjà trois albums. Le temps fait ici bien son oeuvre.
Azimut : 3 volumes parus. Wilfrid Lupano et Jean-Baptiste Andrea. Editions Glénat. 14 € chaque tome.