Vous ne les voyez peut-être pas mais ils sont là. Une encyclopédie "curieuse et bizarre" s’intéresse à ces esprits malins qui se terrent dans nos placards et hantent nos esprits. Phénomène décrit avec effroi dans le Horla de Maupassant qui connaît deux belles adaptations BD.
«Quand nous sommes seuls longtemps, nous peuplons le vide de fantômes» écrit Maupassant. Et pour détecter leur présence, il existe une méthode imparable. Le personnage principal dans la nouvelle de Maupassant en fait l’expérience. Il dépose le soir sur sa table de nuit une collation. Au réveil, il découvre, terrifié, que l’eau et le lait ont été bu. Par qui ? Maupassant lui donne un nom : le Horla. Récit sur la folie et l’angoisse, le Horla est une oeuvre magistrale de la littérature fantastique. Une sorte de confession testamentaire, écrite à la première personne du singulier, d’un homme, bourgeois de province, qui se sent peu à peu saisi par un être invisible.
Le Horla s’est aussi emparé de l’élan créateur d’auteurs de bande dessinée puisque la nouvelle connaît coup sur coup deux adaptations réussies. La première est sortie chez un petit éditeur, les éditions du Quinquet. Au scénario, le fondateur du festival de bande dessinée d’Ajaccio, Frédéric Bertocchini avec Eric Puech au dessin. La deuxième est au catalogue de la récente maison d‘édition qui monte, Rue de Sèvres. Avec un auteur, Guillaume Sorel, au travail graphique remarquable et remarqué notamment dans ses derniers albums (Les derniers jours de Stephan Zweig et Hôtel particulier aux éditions Casterman).
Laquelle des deux adaptations choisir ? Bertocchini a donné plus de place au texte que Sorel qui s’est fait économe en mots laissant la place aux ambiances. Graphiquement, les albums sont des réussites dans des styles différents même si la couleur directe est utilisée par les deux auteurs. Le dessin de Sorel est spacieux, aéré. Avec le pinceau comme avec les mots, l'auteur joue avec les ambiances. Les cases sont larges, le ciel normand présent. Puech utilise les plans serrés sur les dialogues. Son trait est plus conventionnel et, in fine, plus réaliste que celui de Sorel. Je concède avoir été surpris par la technique d’Eric Puech dont le talent est plus discret et la bibliographie bien moins large que celle de Guillaume Sorel. Impossible donc pour moi de vous dire laquelle choisir…
Guillaume Bianco a très certainement lu aussi Maupassant. Dans son Encyclopédie curieuse et bizarre des fantômes aux éditions Soleil, l’auteur fait une description si précise du «fantôme du placard» chapardeur de repas, qu’il ne peut s’agir que du Horla ou de son cousin. Et c’est par l’intermédiaire de Billy Brouillard, petit garçon extra-lucide, que le plus ou moins jeune lecteur pourra s’initier au monde merveilleux et frissonnant de l’invisible. Fantômes, spectres, esprits et autres succubes hantent les pages de cet album qui se présente plus comme une encyclopédie illustrée qu’une BD avec cases et phylactères. Le style graphique rappelle celui des anciens ouvrages savants avec l’humour en bonus. Si les fantômes n’existaient pas, il faudrait vraiment les inventer.