La guerre en Syrie est comme bien d'autres qui l'ont précédée, une guerre de propagande avec l'image pour "arme de persuasion massive ".Le journalisme a d'ores et déjà payé un lourd tribu pendant ce conflit. Les prises d'otages et les morts de reporters sur le terrain sont nombreuses. Elles touchent aussi bien les professionnels que ceux que l'on appelle les journalistes citoyens. De sorte que les grandes rédactions n'autorisent qu'avec parcimonie l'envoi de leurs journalistes en Syrie. Pourtant, les journaux télévisés parviennent à "montrer" la situation à Alep ou à Palmyre. Comment font ils? Qui tournent ces vidéos? La réponse en 4 images.
Quand c'est vu du ciel, c'est un drone russe qui filme
Les images du concert de musique classique donné dans les ruines de l'antique cité de Palmyre sont emblématiques d'un tournage de propagande. C'est bien l'armée russe qui tournait alors, comme pour toute image filmée du ciel dans le conflit syrien. La maîtrise de la prise de vue dans les airs appartient aux russes. C'est même presque une marque de fabrique, comme le confirme à France Info Alban Mikoczy, grand reporter à France 2.
"L’armée russe équipe en matériel une agence qui s’appelait Russia Today , devenue aujourd’hui Ruptly. Officiellement c’est une agence de presse (type AFP). En réalité, c’est une émanation du pouvoir russe, d’où un contrôle exercé par le Kremlin. L’objectif est de rendre public, le plus largement à travers le monde, la version russe des événements. Très vite, ils ont compris que pour être repris, il fallait deux choses. D’abord, la nécessité d’être très présent sur les réseaux sociaux, et cela ils le font très bien. Ensuite, l’impératif d’être plus spectaculaire, en donnant de meilleures images et plus vite que les autres. Et ils sont en train de remporter cette bataille là, car c’en est une. Pour couvrir le moindre conflit, cette agence est désormais équipée de drones. Par exemple, à la prise de Palmyre, leurs drones étaient là et ont fourni des images réellement incroyables de la bataille au-dessus de la cité. La transmission des vidéos s’est faite presqu’une demi-heure après la bataille. Aujourd'hui, c'est un portail numérique de cette agence qui met à la disposition de ceux qui le souhaitent ces images. Nous sommes abonnés à ce portail comme la plupart des grands médias. C’est donc via cette porte d’entrée numérique que les russes rendent visibles, accessibles ces vidéos. La première année c’était gratuit. Désormais, nous sommes abonnés, donc nous payons mais à un tarif bien moins cher que d’autres agences. Objectivement, ils sont meilleurs sur le plan technique. Mais il ne faut jamais oublier qu’ils ne font pas un travail neutre. Je dirais que c’est un travail d’illustration de la victoire russe qu’ils définissent comme « propre ». D’ailleurs dans leurs images, il n’y a jamais de mort."
Quand c'est filmé au sol, c'est souvent un journaliste citoyen/rebelle.
Grand reporter à France 2 Martine Laroche Joubert a tissé de nombreux liens avec celles et ceux qui ont décidé de photographier, filmer leur guerre. Ces rebelles sont ce qu'on appelle des journalistes citoyens.Au péril de leur vie, leurs images ont pu rendre compte des différents aspects du siège d'Alep. Bien sûr eux aussi poursuivent des buts politiques en filmant ce qu'ils vivent. Pour France Info, Marine Laroche Joubert explique comment elle travaille avec ces apprentis journalistes devenus reporters de guerre.
"Ce sont des jeunes dont le métier au départ n’était pas du tout celui de journaliste ou photographe. Souvent, ils faisaient des études, ils étaient artisans… En fait, c’est très varié. Tous sont engagés du côté de la rébellion. Ce ne sont pas des combattants, mais ils sont politiquement partie prenante. Disons que ce sont des modérés. Certains ont été emprisonnés par le régime de Bachar et également par le groupe Al Nosra. Ils s’y sont mis petit à petit. Car les journalistes étrangers n’ayant plus l’autorisation de se rendre à Alep à cause du risque de kidnapping ( en gros après l’enlèvement du journaliste Didier François et de ses collègues), ils se sont dit qu’il fallait absolument que quelqu’un témoigne. Alors ils ont commencé la photo et la vidéo. Les débuts étaient bien sûr un peu difficiles. J’avais établi des relations avec eux qui me permettaient de leur faire savoir ce qu’ils devaient faire pour améliorer l’image, le son. Cela se faisait via un intermédiaire que je connais très bien et qui est basé à Gaziantep. C’est un jeune étudiant en anglais qui rentrait en contact avec ceux que j’appelle les citoyens journalistes d’Alep. Et si j’ose dire, c’est comme cela que je leur « commandais » différents sujets sur Alep comme les écoles, les casques blancs, le siège de la ville et ses répercussions sur les gens… Les derniers sujets que nous avons reçus étaient tournés en HD et vraiment très bons. J’ai même réussi à leur faire tourner un sujet sur eux-mêmes. Il faut préciser à quel point, tous sont très courageux. Car tous auraient pu partir avant le siège. Quant c’était ouvert, ils auraient pu tous regagner la Turquie. Mais pour eux il y avait une question d’honneur. Leurs familles étaient pourtant parties. Il y a un mois, après le tournage qui a été fait sur ces citoyens journalistes, le caméraman avec lequel j’ai beaucoup travaillé, a été blessé. Plusieurs autres l'ont été, et certains ont trouvé la mort. Cela a même été une hécatombe. On procédait par tout un cheminement. Ils m’envoyaient des rushs par Drop Box. Il faut savoir que là-bas, à Alep, c’est l’internet turc qui fonctionne. Mes correspondants parvenaient toujours finalement à se connecter. Tout était envoyé en Turquie, et de la Turquie je recevais le tout à Paris réparti en 60 ou 70 clips, de longueur inégale. En tout je me retrouvais face à une heure, une heure et demi de rushs, et le montage se faisait à France Télévisions."
Quand l'mage est verticale et que quelqu'un parle, c'est le skype d'un habitant engagé dans la rébellion.
Ces témoignages introduisent le sentiment de vivre en direct la situation de la personne qui s'exprime. Martine Laroche Joubert explique à France Info comment elle choisit ses interlocuteurs et comment elle parvient à se connecter avec celles et ceux qui parlent depuis leur domicile ou même dans la rue.
Bien sûr, il y a aussi, les skypes. Et là aussencore, c’est tout un processus. Il faut d’abord les joindre par téléphone, leur dire où aller pour se connecter à internet et faire l’interview par Skype. Souvent, il fallait appeler le matin pour réussir à faire le skype le soir. J’identifiais toutes ces personnes via les relations que j’ai tissées. Par exemple, c’est comme cela que j’ai pu trouver des femmes pour me parler des écoles qui existaient à Alep malgré le siège. L’une d’elles m’a raconté comment entre deux bombardements, elle faisait sortir les enfants pour peindre les carcasses de bus ou de voitures dans la rue. C’était parfois très surprenant. Parfois même, ils étaient en train de marcher à l’extérieur et ils pouvaient me montrer dans quel état était la rue, les immeubles d’Alep. De même, dans des abris, là encore avec des enfants, ou encore sur des balcons.
Quand apparaît un logo clairement identifiable ou flouté (souvent situé en haut à droite), les images sont réalisées par une structure de presse ou Daesh lui même.
C'est bien connu, Daesh ne se prive pas de livrer bataille à grands coups de vidéos de propagande. Quand c'est le cas, les images font l'objet d'une mention écrite au bas de l'écran. Pour toutes celles qui sont produites par les journalistes citoyens, c'est le plus souvent la ou le journaliste de France télévisions qui le précise dans son commentaire. C'est ce qu'explique Martine Laroche Joubert à France Info.
"Il y a aussi ce qui arrive via ce que nous appelons les échanges internationaux d'images (les EVN en termes de métier) Ce sont les personnes qui travaillent pour Reuters, l’AFP… Dans la grande majorité ce sont des gens qui habitaient là et qui se sont mis à collaborer avec les grandes agences. Par exemple, à l’AFP, il y a Karam Al Masri qui a reçu le prix Varenne. Il a été emprisonné par le régime de Bachar, puis par Daesh. Ses parents ont été tués dans parb un raid aérien. J'ai été bouleversée par une dépêche très émouvante qu'il a rédigée sur ses conditions de vie, son extrême fatigue, son désespoir. Et donc, tous ces citoyens journalistes envoient leurs photos, et vidéos le soir le plus souvent. Mais ce que nous recevons c’est souvent des images, importantes certes, mais pas ce que nous appelons des histoires structurées. Bien sûr, je précise que nous rémunérons tout ce travail. Pour traiter un angle précis, cela peut prendre 5 à 6 jours. En général, nous leur faisons parvenir 700 euros. Je sais c'est peu...L’argent passe par la Turquie. Je voudrais dire aussi que lorsque nous ne disposons que d’une source unique comme les drones, nous ne réalisons pas le sujet. Car, certes, c'est très spectaculaire mais dommageable et insatisfaisant en terme de couverture journalistique rigoureuse. Donc, à chaque fois que nous avons utilisé ces images nous les avons raccordées avec d’autres plans tournés au sol d'origines diverses. Évidemment, il y a aussi des images au sol tournées par les agences russes. Bien sûr, c’est de la propagande qui est d’ailleurs partout comme dans chaque guerre. Par exemple, au début de l’évacuation d'Alep, on voyait les troupes russes distribuer de la nourriture aux gens qu’ils avaient pourtant bombardés pendant des mois. Énorme mise en scène. De même avec les interviews. Les gens disaient que les rebelles les obligeaient à rester dans la ville.Vrais ou pas, à chaque fois que nous avons utilisé tous ces éléments, nous précisons qui a filmé. Donc je le redis, ces séquences sont peut-être réelles, mais en tout cas, ce qui est sûr, c'est qu'elles sont contrôlées. Préciser les sources est donc indispensable. Et on le fait pour les images russes ou celles du régime, ou encore tournées par les iraniens. De même nous précisons toujours pour le côté rebelle. Et je fais cela, en voix, dans mon commentaire. Quant à Daesh qui adore la propagande par l'image, nous écrivons en toutes lettres qu'il est l'auteur des plans que nous utilisons quand cela nous arrive."