Coup de génie, leçon de cinéma, claque étourdissante... Je ne sais pas très bien comment qualifier Pacific Rim, blockbuster estival du réalisateur mexicain Guillermo del Toro (Hellboy I et II, Le Labyrinthe de Pan). Disons pour résumer que Pacific Rim est une expérience de cinéma sensorielle et cardiaque : des monstres amphibies issus des entrailles de la Terre tentent de coloniser notre planète. En riposte, les humains construisent des robots à leur échelle, commandés par deux pilotes dont les cerveaux sont reliés. Combats de Titans dans l'Océan pacifique, effets spéciaux dantesques, pur plaisir.
Pacific Rim ne laisse aucun doute sur son ambition : subjuguer le spectateur, lui en mettre plein la vue. Mais là où certains blockbusters se montraient timides, maladroits, voire ennuyeux, le film de del Toro réussit -presque- tout ce qu'il entreprend. Un joli doigt d'honneur à Michael Bay (Transformers), Roland Emmerich (Godzilla), Joss Whedon (Avengers), Shane Black (Iron Man 3) et tant d'autres... Quel est son secret ?
Oser la démesure (mais vraiment)
J'ai beau chercher, je ne vois pas de film visuellement plus grandiose que Pacific Rim, à part Titanic (1997). Le film-paquebot de James Cameron et le film-robot de del Toro ont en commun cette passion du gigantisme. Devant eux, le spectateur jouit primairement du spectacle total qui s'offre à lui et, plus inconsciemment, du génie humain, concrétisé par les acrobaties technologiques portées à l'écran.
La prouesse de del Toro réside dans sa capacité à rendre visible cette démesure. Quand les robots de Transformers mesurent la taille d'une maison, le cinéaste mexicain crée des Jaegers et des Kaiju hauts comme des gratte-ciels. Même King Kong aurait du mal à s'y accrocher. Psychologiquement, on passe ainsi d'une échelle individuelle au collectif. Un monstre = une masse potentielle de morts indénombrables. A intervalle régulier, del Toro met l'accent sur des éléments de notre quotidien, pour que notre cerveau puisse les comparer aux monstres : des poissons morts, un couteau, des poteaux électriques... Au final, nous ne sommes plus surpris qu'un porte-conteneurs serve d'épée.
Pour eux, la baie est une flaque.
Replacer l'action au premier plan
Un tic récent des blockbusters hollywoodiens consiste à psychologiser à outrance le personnage central -ou celui qui fait pivoter l'action. The Dark Knight, Man of Steel, Loki de The Avengers, Iron Man ou encore Wolverine (et même James Bond), tous semblent atteints de Descartite. Le doute les habite. Sont-ils vraiment infaillibles ? Neuf fois sur dix, cette question revient à se demander : pourquoi papa n'est-il plus là ? L'action découle directement de leur quête existentielle. Le spectateur n'a droit qu'à une scène de climax finale, au bout de 2 heures de vague séance de psy -qui, au passage, n'intéresse pas beaucoup le public féminin.
Guillermo del Toro n'éclipse pas les conflits psychologiques, mais les expose avec parcimonie, sans jamais oublier pourquoi le spectateur a payé 11 euros et une paire lunettes 3D pour la énième fois : l'action. On profite d'au moins trois ou quatre grandes scènes de combat "Jaegers vs Kaiju", et même d'une séance d'arts martiaux opposant Raleigh (Charlie Hunnam) et Mako (Rinko Kikuchi). Dès le milieu du film, del Toro ouvre une seconde brèche, à travers le conflit entre les deux scientifiques. Enjeu qui aurait pu tourner court mais qui réinjecte de l'action, puisqu'un des savants fous est personnellement chassé par un monstre. On applaudit des deux mains.
Moi devant Guillermo.
Titiller nos souvenirs...
On l'aura compris, Guillermo del Toro ne révolutionne pas le genre. Mais il le modernise et le rend plus "personnifiable". Ne croyez pas les critiques qui vous disent que c'est un "film pour geeks", si vous n'en êtes pas un(e). Pas besoin d'avoir l'intégrale de H.P. Lovecraft chez soi, il suffit d'avoir été enfant pour aimer Pacific Rim. Nous avons tous en tête des images de Robocop ou de Goldorak, nous avons tous frémi devant Alien, Matrix et Jurassic Park, nous avons tous disséqué des lézards, nous avons tous joué avec des GI Joes (ou des substituts)... Une scène d'affrontement creuse cet esprit "combat d'enfance". Champs, contrechamps, les ennemis monstrueux se toisent puis se foncent dessus. Un peu comme Bambi et Ronno, chez Walt Disney.
Démesure, puis mesure, une nouvelle fois. Tandis qu'il est question "d'annuler l'Apocalypse", l'héroïne Mako doit faire face, seule, à son passé. Le flashback qui la représente enfant, errant parmi les ruines d'une ville toujours menacée par les créatures, évoque mille et une images : Cendrillon qui a perdu sa chaussure, le Petit chaperon rouge poursuivi par le Grand méchant loup, la petite fille en rouge de La Liste de Schindler ou encore le dessin animé japonais Le Tombeau des lucioles, l'histoire d'orphelins livrés à eux-mêmes après un bombardement américain. Autant d'éléments qui aident à la comprendre, voire s'identifier à elle.
... sans oublier de réfléchir
Le petit plus, mis à part le fait que Pacific Rim ne soit ni un reboot, ni une suite (on respire !), c'est qu'il pose des questions sur les bouleversements biotechnologiques à venir, chose que seul La Planète des singes - Les origines réussissait intelligemment, ces dernières années. Tout en reprenant l'image folklorique du scientifique à la Emmett Brown, une araignée de métal vissée sur la tête, le film s'interroge sur les connexions possibles entre l'homme, son environnement et la machine. Sera-t-il possible, par exemple, d'interconnecter un jour deux cerveaux ? On sait déjà qu'un ver décapité retrouve la mémoire lorsque sa tête repousse...
Un mini-cousin Jaeger croisé au Comic-Con.
J'aime particulièrement l'idée que le film ne s'attarde pas sur la raison initiale qui fait surgir ces gargouilles-Kraken, à savoir le dérèglement climatique. L'enjeu est évoqué en une phrase, témoignant là aussi d'une volonté de "passer à autre chose". Géopolitiquement, la vieille Europe disparaît au profit de l'axe USA-Asie et la bombe atomique ne terrorise plus, elle sauve au contraire l'humanité. Vision plus audacieuse que The Dark Knight Rises, pour ne citer que lui, qui nous rappelait les heures les plus sombres de James Bond pendant la Guerre froide. Alors, après Pacific Rim, le déluge ? Tout ce que je sais, c'est que je n'aimerais pas être Michael Bay en 2013.