Il y a des dîners officiels plus marquants que d'autres, mais le gala annuel des correspondants de presse à la Maison Blanche, qui se tient en présence du président des Etats-Unis, est un must en la matière. On se souvient du discours de Barack Obama, il y a deux ans, au cours duquel il rendait publique sa première vidéo de naissance... avec des images du Roi Lion. Samedi soir, Obama a de nouveau fait preuve d'autodérision, mais dans un tout autre style.
Au cours de ce dîner, une vidéo de Steven Spielberg présentant son nouveau projet de film a été diffusée devant les invités. Spielberg, dont le biopic Lincoln a fait un carton aux Etats-Unis, explique qu'il a voulu rebondir sur ce succès en tournant un biopic de Barack Obama, avec (qui d'autre ?) Daniel Day-Lewis dans le rôle titre. Sauf que de Day-Lewis, on n'en voit pas l'ombre : Obama se fait tout simplement passer pour l'acteur. Et c'est très drôle.
Si cette vidéo fonctionne autant, c'est que tout le monde y passe. Ces deux minutes d'autodérision millimétrées n'épargnent ni la politique, ni le cinéma. Spielberg sourit de son choix évident pour le casting de Lincoln, Obama se moque de ses oreilles, de sa gestuelle et de ses détracteurs ("Pourquoi la réforme du système de santé en premier ?"), Tracy Morgan raille les phrases toutes faites d'acteurs en promotion ("Travailler avec lui est intimidant"), et bien entendu, tous prennent un malin plaisir à déboulonner le tabou racial : Daniel Day-Lewis et Joe Biden noirs, quoi de plus normal !
Hollande en Torreton ? Hum...
La diffusion d'une telle vidéo paraît impensable en France. Le monde du cinéma serait-il prêt à jouer le jeu comme Spielberg l'a fait ? En dehors des campagnes présidentielles, les messages de soutien politique sont plutôt rares chez les cinéastes français grand public. Et côté acteurs, qui rirait de voir François Hollande imiter Philippe Torreton ? Pas grand monde...
Le second frein hypothétique concerne le format-même du dîner, loin du "off" tant plébiscité par nos médias. La complicité d'un soir entre politiques et médias constitue, aux Etats-Unis, une sorte de "spring break" médiatique dont la France gagnerait, je pense, à s'inspirer. Sous couvert d'humour, le chef de l'Etat distribue les bons et les mauvais points tout en assurant le show. Cette catharsis cathodique, en quelque sorte, satisfait les deux "camps" et les spectateurs, le temps d'une soirée. Une fois les festivités finies, les masques de la connivence bienheureuse s'effacent et chacun retrouve son rôle, comme il l'avait laissé. Lavé en public, le linge n'est-il pas plus propre ?
Traduction de la vidéo :
Steven Spielberg : J'ai été ravi que Lincoln connaisse un si grand succès. Je pensais, une nuit, à ce que j'avais envie de faire après ce film, et tout d'un coup, j'ai eu une révélation : Obama ! C'est vrai quoi, ce type était déjà en bout de course ("lame duck") alors pourquoi attendre ? Ce qui s'est avéré difficile, c'était de trouver le bon acteur pour incarner Obama. Je veux dire, qui est vraiment Obama ? Personne ne le sait ! Il n'a jamais publié ses diplômes et on dit de lui qu'il est un peu idiot. C'est pourquoi j'avais besoin de quelqu'un qui puisse vraiment se plonger dans ce rôle. Et la réponse était devant mes yeux depuis bien longtemps : Daniel Day-Lewis ! Il devient complètement ses personnages : Hawkeye dans Le Dernier des Mohicans, le boucher de Gangs of New York, Abraham Lincoln dans... Lincoln. A chaque fois, c'était formidable.
Barack Obama : Est-ce que c'était dur de jouer Obama ? Je vais être honnête : oui. J'ai mis du temps à prendre son accent. "Salut l'Ohio !" "Moi aussi je vous adore" "Ecoutez" "Que les choses soient claires". Côté prothèses aussi, ça n'a pas été une mince affaire. Il me fallait des heures, chaque matin, pour coller ces fausses oreilles. Je me demande comment il fait pour marcher avec, d'aillleurs.
Steven Spielberg : Une fois que c'était ok pour Daniel Day-Lewis, il a fallu s'attaquer au reste du casting. Je pense qu'on a fait du bon boulot.
Tracy Morgan : Travailler avec une légende comme Daniel est intimidant. Grâce à lui, tout le monde est meilleur. Sans lui, je n'aurais jamais été capable de jouer Joe Biden ! Pour de vrai. "Bonjour, je suis Joe Biden".
Barack Obama : Le plus dur ? Essayer de comprendre ce qui le motive. Pourquoi s'est-il occupé d'abord du système de santé ? Qu'est-ce qui le pousse à agir de telle ou telle manière ? Pourquoi n'est-il jamais en colère ? Si j'étais lui, je serais en colère tout le temps ! Mais je ne suis pas lui. Je suis Daniel Day-Lewis.