Une adolescente déménage avec son père de la ville de Puerto Vallarta à Mexico, au Mexique, et se retrouve, en quelques semaines, souffre-douleur d'un groupe de jeunes bourgeois décérébrés auquel elle pensait pouvoir s'intégrer. Le scénario de Después de Lucía, de Michel Franco, prix "Un Certain regard" à Cannes 2012 et en compétition aux prochains Oscars, n'a rien d'une partie de plaisir. Film "choc" pour certains (comme Rue 89), il scrute la violence autosatisfaite les yeux grands ouverts. Un peu comme Michael Haneke, son auteur ne fait pas de la morale mais tente de comprendre ce qui, à un moment, fait basculer les êtres dans le Mal...
Ce que j'ignorais, c'est que ce bisutage très intensif dont est victime la jeune Alejandra porte un nom précis, du moins au Japon : le "ijime" ("brimades", "intimidation"). Et que les ados japonais qui en font les frais sont plus nombreux qu'on ne pense. "Le ijime à l'école, vaste sujet dont on sait peu de choses puisque la majorité des brimés se tait", explique le blog Animeland. On parle du ijime quand la victime se suicide, et, même alors, cette pratique n'est pas toujours prise au sérieux". Ce film, au contraire, prend ce sujet très au sérieux. Mais sans pathos. Alejandra, par exemple, ne pleure pas (l'émotion vient plutôt de sa relation intime avec son père, veuf dépressif).
Le site Tout-le-Japon.com résume pourquoi ces collégiens sont généralement pris à partie : "Comme dit le proverbe japonais : 'Le clou qui dépasse appelle le coup de marteau'. Ce clou qui dépasse, c’est tout individu qui se distingue. Il convient donc, en toute occasion, de 'faire la chasse au clou qui dépasse'". Dans ce long-métrage (et c'est d'ailleurs ce qui le rend intéressant), la victime est d'abord perçue comme fautive par ses camarades, car elle se laisse filmer pendant des ébats sexuels lors d'une soirée arrosée... Le harcèlement, aux yeux de ses bourreaux, n'est donc pas totalement gratuit. Raison pour laquelle le cercle infernal continue.
A mon grand étonnement, Después de Lucía a suscité de nombreuses réactions d'hostilité, surtout chez les blogueurs ciné. Est-ce parce que son réalisateur a comme une odeur de soufre ? "Michel Franco est l'auteur, il y a trois ans, d’un Daniel y Ana au doux parfum de scandale, rappelle Bref Ciel.com. On y voyait un frère et une sœur kidnappés par des voyous mexicains puis contraints de coucher ensemble devant une caméra". Pas de cela dans son nouveau film, mais certaines scènes de bisutage filmées à distance, en plan fixe, sans fioriture. Michel Franco dépassionne ainsi le regard pour mieux rendre visible la cruauté de ces ados sans état d'âmes.