Angelina Jolie s'était aventurée sur le terrain guerrier en 2011 avec Au pays du sang et du miel, son premier film en tant que réalisatrice, qui traitait de la guerre en Yougoslavie. Elle récidive avec Invincible, l'histoire vraie (précision lourdement spécifiée au début du film) de Louis Zamperini, médaillé de bronze du 5 000 m aux JO de 1936 qui vit un calvaire pendant la Seconde guerre mondiale, depuis ses 47 jours de dérive dans le Pacifique à bord d'un canot de sauvetage jusqu'aux tortures infligées par un caporal japonais dans différents camps de prisonniers GI.
A la fois biopic et survival movie, Invincible s'ouvre sur une bataille aérienne visuellement impressionnante. Las, les choses se gâtent très vite. Totalement accaparée à reconstruire chaque étape du "miracle" Zamperini, Angelina Jolie fait de son film un long chemin de croix de 2h15, où l'acteur principal (Jack O'Connell, une des têtes brûlées de la série Skins) subit toutes formes d'humiliations et de sévices. On a connu les frères Coen, scénaristes du film, nettement plus inspirés.
Soldat martyr
La mise en scène d'Angelina Jolie choisit de montrer, sous toutes les coutures, la souffrance de son increvable héros, au point de mettre le public mal à l'aise (six personnes sont parties de la salle où j'étais). Son corps porte les stigmates des épreuves qu'il traverse : visage brûlé par le soleil, extrême maigreur, nez et cheville cassés, oreille meurtrie, etc. Louis Zamperini, dont la piété est évoquée à plusieurs reprises, est portraitisé en soldat-Jésus-Christ. Un symbolisme qui confine au ridicule avec la scène dans laquelle il est sommé de porter indéfiniment une planche à bout de bras, position dont l'ombre portée reproduit la Crucifixion de Jésus.
C'est peu dire qu'Angelina Jolie ne fait pas dans la dentelle, là où un sujet aussi sensible que la guerre du Pacifique mériterait une approche plus complexe de la situation. Les scènes impliquant Zamperini et le caporal Watanabe sont un monument de manichéisme, pour ne pas dire de racisme antijaponais, qu'Angelina Jolie tente d'étoffer avec une lecture psychologisante du sadisme du bourreau : il ferait ça pour être aussi fort que papa. Sans rire. A-t-on déjà vu un film de guerre traitant la violence avec autant de complaisance, sans le moindre recul ?
La guerre, ce fabuleux spectacle...
Derrière la littéralité du scénario d'Invicible se cache une ambition à mes yeux plus regrettable. On ne saurait reprocher par principe à Angelina Jolie, icône glamour et maternelle, de s'attaquer à un film de guerre. L'exemple Kathryn Bigelow nous a montré que les femmes aussi pouvaient filmer les conflits avec brio et intelligence. Mais Angelina Jolie semble davantage attirée par l'aspect spectaculaire et romanesque de la guerre que par sa dimension monstrueuse. Son premier film rejouait Roméo et Juliette en Yougoslavie, son second délocalise le Nouveau testament dans le Pacifique. A croire que pour elle, la guerre se résume à de bonnes histoires, qu'elle en est même l'une des meilleures pourvoyeuses. On aimerait quand même sentir un peu plus de dépit face à la tragédie chez Angelina Jolie. Moins d'opportunisme.
La fin du film trahit cette forme d'inconséquence. Alors qu'on a passé deux heures à souffrir le martyr avec le protagoniste, elle fait un bond de cinquante ans et montre des images du vrai Zamperini, galopant dans une ville japonaise avec la flamme olympique à l'occasion des JO de Nagano. Happy end ! Comme si de rien n'était. Le syndrome du stress post-traumatique est évacué en une phrase, de même que la problématique du pardon. L'important, c'est que les images produisent un choc, et tant pis si le spectateur a l'impression de recevoir une tonne d'eau glacée sur le corps après avoir cramé au soleil pendant tout un après-midi.
Une mission réussie à long terme ?
Angelina Jolie n'offre pas non plus grand chose de neuf en termes visuels. Invicible est un patchwork de films autrement plus costauds sur les thèmes qu'elle brosse (la force mentale, la camaraderie, la foi...). Les scènes de sport = Les Chariots de feu. La survie au milieu de l'océan = L'Odyssée de Pi. Le sadisme du bourreau = Furyo (ou La Colline des hommes perdus, au choix). Dans le détail, certains "trucs" de mise en scène sont également des emprunts : la crainte d'une exécution qui finit en scène de douche = La Liste de Schindler. Les ombres noires des soldats sur ciel orangé = Valse avec Bachir. Les pieds qui s'affolent dans la boue pour échapper à la mort = Twelve Years a Slave.
Angelina Jolie réussit en revanche sur un point : associer cette histoire à sa propre personne, et ainsi construire un peu plus son mythe. Depuis qu'elle a subi une double mastectomie, l'épouse de Brad Pitt est volontiers présentée comme une "battante", voire une "guerrière". Les médias saluent son courage et son engagement au sein du Haut Commissariat aux Réfugiés. Cette image, elle l'entretient avec soin. J'ai été frappée de voir, par exemple, qu'elle avait demandé à une reporter de guerre de faire son portrait pour Vanity Fair, et non une journaliste "classique". Idem pour ses récentes rencontres avec le pape François et la reine Elizabeth (comme par hasard, en pleine promotion pour son film)... Je la préférais, plus délirante et second degré comme actrice dans Maléfique. Mais vilaine, ce n'est pas un projet de carrière. Celle qui se dit prête à entrer en politique ne se fait pas d'illusions : aux Etats-Unis, le cinéma est une arme comme une autre.
Crédit photos : Universal Pictures.