Une des belles surprises de ce dernier James Bond (et il y en a beaucoup) a un nom : Adele. Choisie pour interpréter le thème principal du 23e opus de la saga, réalisé par Sam Mendes (American Beauty, Les Noces rebelles), la chanteuse décline en quelques minutes les thématiques principales du film et nous offre une vraie chanson de résurrection, le "hobby" même de 007, si l'on en croit le bon mot de l'agent secret, lancé au milieu du film.
J'ai écouté en boucle ce titre, qu'elle a co-écrit avec Paul Epworth, et tenté de comprendre pourquoi il sonnait aussi juste au générique. Ce n'est sans doute pas la seule explication possible, mais c'est ce que je vois quand j'écoute ces 4'50. Lancez le titre, et lisez en même temps ! (attention, cet article révèle de nombreuses intrigues du film)
• La mise au tombeau (jusqu'au premier refrain) :
Petit piano, silence micro. On se croirait aux obsèques de Lady Diana, avec Elton John planqué derrière son instrument. Ca commence mal, et ca tombe bien : on célèbre justement les funérailles de James Bond, refroidi dès la première scène.
"C'est la fin", répète à deux reprises la voix d'Adele. Clin d'œil au début d'Apocalypse Now, avec la chanson des Doors ? Ce n'est pas la seule référence au film de Coppola (voir la scène finale de l'hélicoptère). "Je me suis noyé, j'ai déjà rêvé ce moment", reprend-elle. A l'écran, pendant le générique, apparaissent de magnifiques images de Daniel Craig tourbillonnant dans un environnement onirique, rempli de jets de sang. Plutôt que de couler du "gun barrel", comme au bon vieux temps, l'hémoglobine a des airs de fleurs tombales. RIP Dany.
• Le chemin de croix (jusqu'au bridge) :
Prêt à enterrer James Bond, après 1'25 de musique, le spectateur fredonne le refrain en pleurant son héros. Peu importe, "on restera debout", martèle Adele, comme pour s'en persuader. Il faut bien une fin à tout. Et puis, le doute s'installe. Les notes du thème de James Bond surgissent. "Skyfall, c'est le commencement", prévient la chanson. Ce n'était donc pas fini ?
Nous voilà bientôt devant le psy, avec James Bond. Il n'est pas mort ! Juste l'ombre de lui-même. 007 échoue à ses tests physiques et psychologiques, mais se réveille à l'annonce du mot "Skyfall". Un traumatisme d'enfance qui ressurgit ? Une mission qui s'est mal passée ? Ce mot magique revitalise Daniel Craig, qui entame dès lors un long chemin de croix pour redevenir lui-même (contrairement à Jésus, qui porte sa croix avant de mourir of course) (la comparaison christique s'arrête là).
Bond fait rapidement la connaissance de son ennemi, un petit génie des chiffres et de l'encodage : "Tu peux obtenir mon numéro, prendre mon nom, mais pas mon cœur", chante James-Adele, sous entendu "jamais tu n'arriveras à me corrompre". Adele dit vrai, Javier Bardem n'y parviendra pas.
• La résurrection (jusqu'à la fin) :
Nous sommes à environ 3'. Un nouveau personnage fait son entrée : l'agent M, dont on comprend qu'elle joue un rôle de mère de substitution. Le bridge se veut plus sentimental. "Je ne pourrai jamais être moi sans me sentir en sécurité dans tes bras pleins d'amour, qui me protègent des souffrances". Bond souhaite lui prendre la main ("mets ta main dans la mienne"), comme Daniel Craig prend celle, blessée, de Judi Dench, dans la chapelle.
Le dernier refrain n'est plus une chanson d'enterrement, mais un hymne à la résurrection. La voix d'Adele s'illumine et se fait plus planante. Le héros, qui a plusieurs fois touché le fond, refait surface. Le chœur célèbre son retour. Le nom de "Skyfall" prend tout son sens : c'est le décor final de la chanson comme du film, la maison d'enfance de 007 près de laquelle ses parents reposent.
Tout ceci, cependant, a un coût. L'agent M doit mourir pour que son fils spirituel renaisse. Si cet élément psychanalytisant n'est pas transcendant (il faut tuer la mère pour devenir soi-même), la chanson souligne ce fait avec tendresse. "Un cycle sans fin" peut reprendre, comme s'en amuse James Bond, au cours du film, lorsqu'il propose de "tout miser sur le rouge" à la roulette. Et coda...