Josef Schovanec, 37 ans, explique à Franceinfo.fr pourquoi son voyage ne s’arrêtera jamais. Une quête à la découverte des autres, comme de lui-même.
Cet automne, je retrouve Josef Schovanec dans un café parisien. Trop bruyant pour lui et mal adapté à notre interview, l’écrivain-autiste fait immédiatement marche arrière. Il me propose de nous rendre à quelques pas de là dans un lieu plus calme : sous le pont Mirabeau. Autiste de génie, il me récite immédiatement le poème bien connu d’Apollinaire :
"Sous le pont Mirabeau coule la Seine,
Et nos amours
Faut-il qu’il m’en souvienne…"
Je commence à comprendre.
"Le handicap : une chance"
Jusqu’à ses 6 ans, Josef Schovanec n’arrive pas à parler. En revanche, il sait lire et écrire et dispose d’une excellente mémoire et d’un bon esprit d’analyse. A 16 ans, il obtient un bac scientifique avec mention très bien. Son diplôme de sciences politiques (Paris) en poche, il décroche un doctorat en philosophie et en sciences sociales à l'EHESS. A 22 ans, le verdict médical tombe : il est atteint du syndrome d’Asperger, une forme d’autisme caractérisé par des troubles de la communication et de la socialisation avec un niveau d’intelligence égale ou supérieur à la moyenne. Un diagnostic qui expliquerait depuis toujours ses difficultés à nouer des rapports sociaux.
A cette annonce, Josef Schovanec aurait pu tout arrêter. Mais, au contraireil décide de commencer une nouvelle vie. Débarrasser des traitements prescrits jusqu’alors et qui ne faisait que le "ramollir", il sillonne la planète seul à la découverte des autres, tout en poursuivant en parallèle ses recherches en sciences sociales. Objectif : démontrer à ses semblables autistes que devenir aventurier permet de sortir des carcans où l’Occident les enferme. Dans cette quête, il entend bien prouver que l’autiste Asperger qu’il est a un avantage : il parle pas moins de 11 langues. "Sans elles, je ne pourrai pas m’ouvrir aux étrangers", souligne-t-il. Josef ne se sépare jamais de ses gros dictionnaires pour persévérer dans l’apprentissage de certaines qu’il affectionne particulièrement : l’arabe littéraire, le perse ou encore l’allemand.
L’exemple suisse
L’un des tout derniers voyages de Josef Schovanec l’a conduit à Genève. Preuve que l’inclusion est possible, il y a retrouvé des handicapés solidaires. "Ils font du troc de services pour s’entre-aider. Par exemple à Saint-Gall en Suisse alémanique, un autiste informaticien répare les ordinateurs et en retour on fait ses courses pour lui, chose qu’il ne peut faire compte tenu de ses phobies sociales", pointe Josef Schovanec. "Cette idée est à creuser car dans le handicap on est tous un peu complémentaires et cela crée du lien. Il y a autant d'autistes différents que de personnes différentes chez les non-autistes."
Pour Noël, le philosophe a choisi le sultanat d'Oman. "J’y retrouve des amis comme simple étudiant. Le paysage est totalement désertique. Les gens sont gentils, ne parlent pas français ce qui me dépayse. Ils maîtrisent l’arabe littéraire. C’est parfait pour moi", explique l’intéressé. "Je veux voyager loin des pays où l’on isole celui qui est différent, qui gêne. Mon but est de dénicher la région où ma particularité ne pose pas de problème." Après Oman, Josef ira donner des cours à l’université Kaust de Jeddah en Arabie Saoudite.
Le contre-exemple des médias français
Dans une chronique qu’il tient sur Europe 1 depuis 2014, Josef Schovanec décrypte le comportement des autistes et non-autistes qu’il croise au gré de ses périples. "Voyages en Autistan" est diffusé chaque dimanche sur la tranche 18h-20h dans la rubrique "Carnets du monde" dont Sophie Larmoyer est rédactrice en chef. "Aucune autre chaîne de radio nationale n’a rebondi sur cette idée folle d'embaucher un autiste avec un problème de diction", regrette Josef Schovanec. "En France, on est enfermé dans le stéréotype de l’icône médiatique du blond blanc bien-sous-tous-rapports. Sophie, elle, a pris le risque. Elle était persuadée que j’étais handi-compatible."
Sur Europe 1, Josef Schovanec est totalement libre de ses sujets. "La rédaction découvre mes chroniques au dernier moment", insiste-t-il. Depuis plus de quatre ans, "Voyages en Autistan" a survécu à tous les changements de programmes. "Sophie a réussi à faire entendre la voix d'un handicapé ailleurs que dans des émissions santé. C’est un tour de force", reconnaît Josef Schovanec. Certes, des journalistes de la rédaction ont pu lui recommander de suivre une école de journaliste pour poser sa voix. "Je leur répondais que les auditeurs entendent les mêmes voix du matin au soir. Ils ont aussi le droit d’entendre des tons différents qui représentent 1% de la population mondiale", lâche-t-il.
Aujourd’hui, sa passion du voyage semble bien loin de ses premières expériences radios il y a 8 ans sur Aligre FM et idFM, des radios conçues pour les autistes et par les autistes.
Des pays pauvres aux avant-postes
Parmi les pays qu’il a visités au gré de ses chroniques, Josef qualifie le Yémen d’inoubliable. Il a notamment été marqué par la capitale du pays, Sanaa. Dans la vieille-ville, se déclinent sur les façades des immeubles les strates de plusieurs millénaires. Avant que la guerre n’éclate avec l’Arabie Saoudite, l'aventurier-autiste était l’un des derniers occidentaux à s’être rendu sur place. Il s’y est fait des amis, mais n’a plus aucune nouvelle d’eux depuis que le conflit a éclaté. "Pourtant, Yémen signifie Arabie heureuse en arabe" rappelle Josef pensif. "Je n’oublierai jamais ce pays et ses bergers. Ils ne me connaissaient pas et ne savaient même pas ce qu’était un billet de banque. Comme dans beaucoup de régions pauvres du monde, les handicapés n’y sont pas exclus."
De même pour les îles du Pacifique où Josef Schovanec a pu constater que les autistes étaient pleinement intégrés à la société, au cœur de leur famille, loin des tabous et interdits médicaux pesant sur la plupart des sociétés occidentales. "Il vaut mieux être autiste dans un pays d'Afrique inclusif plutôt qu'en Europe enfermé derrière une grille", s’insurge Josef Schovanec. "D’où l’importance d’apprendre de ces populations et d’aller à leur rencontre, pas seulement via internet, mais physiquement."
Changer de points de vue pour changer le monde
Autre pays qui a profondément marqué notre globe-trotter : la Corée du sud. "C'est l’un de mes pays préférés. Ses habitants présentent nombre de points communs avec l’autisme, que ce soit dans leur identité culturelle ou leur mode de vie. Ils sont mus par une politesse naturelle. Ils ne regardent jamais l’autre dans les yeux et n’aiment pas le bruit", souligne le philosophe.
Le message est là : changer de point de vue, reconnaître la différence, et pourquoi pas s’en inspirer. Encore une exemple lié au voyage pour expliquer la logique à adopter. "A la différence des handicapés, les valides se sont privés de roulettes sous leurs valises pendant des dizaines d'années avant d'accepter d'en avoir, car ils se sentaient plus forts", lâche encore Josef. Certains stéréotypes pourtant absurdes ont la vie dure...
Quand il est en France, Josef Schovanec loge chez ses parents (des réfugiés tchèques comme le suggère leur nom) à Alfortville au sud-est de Paris. A la fin de notre entretien, Josef a poussé mon fauteuil sur les derniers pavés du pont de Mirabeau en souhaitant qu’on se revoit. Nous nous reverrons, c’est certain.
Pour en savoir plus
Josef Schovanec est l'auteur de plusieurs livres :
- Josef Schovanec, Je suis à l’Est ! : Savant et autiste, un témoignage unique, Plon, 2012 ;
- Éloge du voyage à l’usage des autistes et de ceux qui ne le sont pas assez, Plon, 2014 ;
- De l'Amour en Autistan, Plon, 2015 ;
- Voyages en Autistan : Chroniques des Carnets du monde, Plon, 2016 ;
- Voyages en Autistan : Chroniques des Carnets du monde, saison 2, Plon, 2017 ;
- Je cuisine un jour bleu : Gourmets autistes, recettes et témoignages, Terre vivante, 2018 ;
- Nos intelligences multiples, éditions de l'Observatoire, 2018.