Scénariste et humoriste handicapé, Adda Abdelli tient le rôle de Romy dans le programme court de France 2, Vestiaires, dont il est aussi coauteur. Il incarne également le Président de la République française dans la web série Inversion qu’il réalise.
"J’ai toujours rêvé d’être comédien et de monter sur scène", confie Adda Abdelli à franceinfo. Né le 13 septembre 1967 en Algérie, Adda a contracté la poliomyélite à l’âge de 2 ans. Elevé par une tante à Marseille, il sera soigné à La Timone toute sa vie. Adda Abdelli fait sa scolarité dans la seule école publique de France (La Grotte-Rolland) qui accueille exclusivement des enfants handicapés et qui est située dans les quartiers sud de la ville phocéenne, à Madrague-Montredon. Un établissement fermé en 2011 dans le sillage de la nouvelle loi sur l’inclusion des écoliers handicapés dans les parcours traditionnels.
"J'adorais faire rire mes camarades en classe. Pour les anniversaires et les mariages, on me demandais toujours de faire mon numéro", nous explique Adda Abdelli. Alors, en 1995, Adda décide d'écrire son premier spectacle : "Quelques maux de moi".
Mais à l’époque, les handicapés n’existent quasiment pas dans les one man shows. Mimie Mathy a débuté sa carrière solo seulement quatre ans auparavant. Quant à Jamel Debbouze, il se lance tout juste (il est alors à l’antenne de Radio Nova, puis sur Paris Première l’année suivante). "On m’a dit : ‘Non, pas possible, les Français ne sont pas prêts à voir un handicapé sur son fauteuil roulant se moquer de lui-même ou de ses semblables'... limite on m’a dit, 'c’est trop intelligent', alors je me suis dit, 'c’est mort le théâtre'", se rappelle Adda Abdelli. Titulaire d’un diplôme d'aide-comptable décroché dans la foulée, il travaille alors pour la Ville de Marseille comme comptable.
Une rencontre qui a tout changé
Adda Abdelli s’accroche pourtant. Il fait de la figuration. Et c’est un jour de 1998 que son destin bascule : il rencontre Fabrice Chanut. C’est dans les vestiaires de la piscine du même club handisport (Handisport Marseille) qu’ils ont l’idée du concept de la série Vestiaires. Fabrice Chanut est lui aussi handicapé (il souffre d’une malformation de la main droite), il a été plusieurs fois champion et vice-champion de France de natation handisport du 100 mètres brasse (dans la catégorie SB9), et surtout il a déjà signé un court-métrage.
Ensuite tout s’enchaîne. Au festival international du film d’Aubagne en 2009, les deux compères rencontrent Philippe Braunstein et Sophie Deloche, les futurs producteurs de Vestiaires. Après quelques mois de réflexions, ces derniers adhèrent au projet. S’ensuivent plusieurs mois d’écriture à quatre mains. Au total, 70 épisodes sont scénarisés. Et six épisodes pilotes réalisés, avant le coup d’envoi officiel de la série donné par France 2 en 2011. "Et depuis chaque jour à 13h50 puis 19h45 et maintenant à 20h50, des mecs en maillots avec souvent des jambes en moins ou autres handicaps visibles sont diffusés sur la deuxième chaîne française", rappelle fièrement Adda. "C’est génial !".
Aujourd’hui encore, Adda Abdelli signe toujours avec Fabrice Chanut les scénarios de Vestiaires, mais désormais l’écriture s’ouvre à d’autres acteurs handicapés.
Jouer le Président de la République, "une expérience unique"
Et Adda mène d'autres projets. C’est en côtoyant Stéphane Rivière, fondateur de Talentéo, réseau social professionnel français du handicap et de l'emploi, qu’Adda Abdelli a commencé à prendre conscience que l’inversion du discours sur le handicap représentait un véritable levier de sensibilisation. "Au début, je participais avec lui à des interventions en entreprise sur la perception du handicap. C’est là que nous nous sommes rendus compte qu’en inversant les rôles, le public riait. On parvenait ainsi à changer le regard sur le handicap", se souvient Adda Abdelli.
Avec Stéphane Rivière, il décide alors de lancer une web série humoristique basée sur ce concept. Baptisée Inversion, elle met en scène un monde dominé par une majorité d’handicapés où les valides sont minoritaires. "Interpeller ainsi les autres par l'inversion est le meilleur moyen de faire évoluer les mentalités", insiste Adda Abdelli.
Deux épisodes ont déjà été tournés. Dans le premier, un demandeur d’emploi valide est reçu par un chef d’entreprise handicapé. Dans le deuxième, un président de la République française en fauteuil roulant répond aux questions d’un journaliste valide en 2052. Dans les deux cas, le rôle de l’handicapé est joué par Adda Abdelli, et celui du valide par Stéphane Rivière.
"Pour le deuxième épisode, nous avons osé proposer un projet fou à la mairie de Lyon : tourner dans le vrai décor de l’hôtel de ville. Nous l’avons fait", se félicite Adda Abdelli. "La tirade de la fin sur Martin Luther King et le rêve de l'égalité, c'est moi qui l’ai écrite. Vous savez, les minorités raciales et nous, minorité handicapée on a le même rêve d'égalité. C’était aussi une expérience assez unique pour moi de pouvoir jouer un président de la République."
Qu’en sera-t-il des prochains épisodes d’Inversion ? "Nous pourrions imaginer un sujet sur les femmes pour faire un lien avec le mouvement ‘Balance ton porc’ et ‘Me too’. Une femme doit, également, souvent combattre le jugement du regard des autres sur ce qu'elle représente, son apparence, ses formes. Dans cet épisode, on aurait les hommes dans un monde de femmes avec les femmes qui auraient le comportement des hommes et où un homme serait harcelé par des femmes", confie Adda Abdelli.
L’image au service de l’intégration des handicapés
Adda Abdelli aime à penser que son parcours pourrait valoir d’exemple. "D’autres handicapés qui regardent Vestiaires peuvent désormais se dire qu’un programme court en prime time est un rêve qui peut être à leur portée. Ils peuvent aussi s’identifier à nous ce qui est très positif", estime le comédien. "Je suis fière d'assumer cette image, et en même temps ils voient que je suis comme eux."
Pour Adda, beaucoup de travail reste à faire pour rendre la société plus égalitaire vis-à-vis des handicaps. "Certes, une des premières images d'Emmanuel Macron, après son élection, est celle où il joue au tennis en fauteuil roulant pour défendre la candidature de Paris aux JO 2024", reconnaît l’humoriste. "Mais les 20% de Français, soit 12 millions de personnes, touchées par un handicap ne sont quasiment pas représentées à la télévision ou de manière très marginale." Ils seraient 0,63% selon le baromètre 2017 du CSA sur la diversité. Et dans les institutions publiques ? Pas mieux...
En 2017, Adda Abdelli, toujours guidé par son arme favorite, l’humour, a rédigé "Comme sur des roulettes", un ouvrage témoignage, authentique, drôle et émouvant sur son handicap.
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