Burkinigate : une guerre de "conception de la femme"... Sans les femmes.

BurkiniQue cache le burkini? Des femmes musulmanes, vraiment? Quand il semble qu'il est au contraire une évidente provocation, faite pour rendre ces femmes plus visibles que jamais, étendards d'une certaine "conception de la femme" qui viendrait en heurter une autre, dans le contexte d'une dite "guerre de civilisations".

Et les hommes d'un camp et de l'autre de penser que ce qu'ils font de LEURS femmes vaut tout autant, sinon mieux, que ce que l'adversaire fait des SIENNES. Rien de nouveau sous le soleil : des saintes et des salopes en pâture d'un crêpage de glands autour de la décence et du choquant, du libéré et de l'obscène, du respectueux et de l'insultant, de l'infâme et in fine de la femme.

Notre corps est une contrée à régenter, le territoire prisé d'un combat qui ne nous concerne pas. Car nous, femmes du monde entier, sommes de ces peuples inaptes à l'auto-détermination, qui ne peuvent que se croire libres quand au mieux, ils sont désolants de servitude volontaire.

 

— Le voile des TIENNES, tu ne vas pas me faire croire qu'elles le veulent vraiment, c'est juste que tu leur as lavé le cerveau avec ta religion.

— Hey, parce que tu crois que la mini-jupe des TIENNES, c'est pas une forme d'aliénation à ta culture de la séduction avec tous les diktats de minceur, jeunesse, fermeté qui vont avec (et je te ferais dire qu'il y a même des gens de CHEZ TOI qui pensent ça)?

— Ouais, mais MES femmes, je les considère pas comme des objets de concupiscence, nananère!

— Laisse-moi rire, quand TES femmes se font sexuellement agresser, tu commences par te demander ce qu'elles faisaient dans cette tenue à telle heure dans tel quartier ; si, ça, c'est pas considérer que nous autres, hommes, on a du mal à s'empêcher (clin d'oeil complice). Du coup, ben, on est d'accord que c'est aux femmes de faire gaffe à ce qu'elles nous donnent à voir, nan?  

— Bon, euh..., ok..., euh..., alors, je sais pas, on pourrait peut-être trouver un compromis. Bouge pas, j'appelle Chevènement, c'est un expert ès-monde-musulman (mais si, il a même été au Caire, il y a 40 ans) et ès-fringue-laïque-et-égalitaire (il nous fait régulièrement le coup du retour de l'uniforme à l'école). Allo, Jean-Pipi, sur le birkitruc-là, on cherche à s'entendre, t'as pas une idée... Mais, ouais, super, "tolérer mais pas approuver", tu dis? J'adore! T'es toujours aussi fort, mon Jean-Pipi. C'est presqu'aussi bon que "responsable mais pas coupable"... Nan, ouais, t'as raison, ça, c'est pas de toi et puis, c'est pas le moment de changer de sujet...

 

territoireChamp de bataille aujourd'hui, le corps des femmes comme il se vêt, se poste et se mouve, sera-t-il demain celui de négociations entre hommes qui se serreront une bien virile poignée de main autour d'un contrat stipulant longueur de la jupe décente, périmètre du maillot convenable, taux de transparence des textiles supportable et règles comportementales admises pour les femmes qu'ils mettront en commun?

Pari risqué que celui d'une concertation possible, quand la rhétorique islamique n'est pas à la recherche du terrain d'entente mais au décèlement des contradictions de la partie adverse pour l'enfermer dans ses incohérences, afin qu'elle s'entre-déchire en son sein et finisse par haïr sa propre culture du débat et se retranche dans ses stériles radicalités.

6085789Vous arrêtez des femmes qui se mettent seins nus dans l'espace public (pour combattre notamment les persistances des motifs religieux de l'oppression des femmes) mais vous arrêtez aussi des femmes parce qu'elles sont trop habillées (pour des motifs religieux) sur la plage? Faudrait savoir! Ah, c'est que vous ne goûtez pas que le corps des femmes soit politisé, de leur gré ou contre (pourvu que ces créatures puissent en avoir un, de gré). En revanche, ça ne vous pose qu'à moitié problème qu'il soit marchandisé, au nom de la liberté (de commercer, pour commencer)... Enfin, ça dépend pour quoi : pour la pub, c'est ok (consulter Elisabeth Badinter, présidente du Conseil de surveillance de Publicis) ; pour les putes, ça se discute (consulter Elisabeth Badinter, experte de l'autodétermination à géométrie variable des femmes) ; pour la procréation hors du cadre conjugalo-familial hétéronormé, confondez tout et minez le débat avant qu'il ait débuté (ou bien consulter qui vous savez). 

 

Chaque faille de cohérence sera exploitée. Avec mauvaise foi, certes. Mais exploitée quand même. Une fois qu'on a compris ça, deux solutions s'offrent.

La première consiste à s'en foutre de la cohérence (et de la condition réelle des femmes, dans nos bien bonnes contrées) pourvu que l'on puisse figer une "conception de la femme" dont il y aura à défendre vigoureusement les frontières face à l'ennemi contre qui il faut savoir faire feu de tout bois. Dans ce cas de figure qui ne déplait bizarrement pas à toute une foule d'indifférents habituels au sort des femmes se découvrant tout à coup fervents féministes dans l'âme, on traitera d'enfants gâté.es, voire de sales collabos rincé.es du cerveau par la propagande anti-islamophobie, celles et ceux que ça chagrine un peu (ou beaucoup) de voir ainsi les droits des femmes instrumentalisés avant même d'avoir été sérieusement concrétisés (Tiens, d'ailleurs, on apprenait au début de l'été que la France a dégringolé de la 36è à la 60è place mondiale pour la représentation des femmes au Parlement, je dis ça, je dis rien, juste en passant). 

La seconde solution consiste à donner le moins de prises possibles à l'attaque islamiste (et au passage à toutes formes d'agressions intégristes et/ou réactionnaires) en résolvant enfin nos contradictions et en mettant en pratique les principes politiques dont on veut pouvoir se targuer (ici, l'égalité femmes/hommes, si vous avez tout bien suivi).

protection patriarcaleAutrement dit, ce n'est pas en se gargarisant d'avoir une meilleure "conception de la femme", de SES femmes, que l'on prendra des points dans une guerre du symboles où, pour l'heure, soyons lucides, nous nous faisons tatamiser. C'est en renonçant à avoir une "conception" de ce que femme doit être et faire (de plus, de moins ou de différent d'un homme). C'est en garantissant aux femmes une réelle liberté, intraitablement assurée par une société qui ne chercherait plus à les "protéger" (de l'influence du curé hier quand on ne voulait pas les voir voter, de l'imam aujourd'hui quand on ne veut pas les voir voilées ; des tentations que tous admettent qu'elles représentent pour des hommes auxquels il semble partout difficile de demander de se la mettre sur l'oreille ; et avant tout d'elles-mêmes, si inconséquentes et promptes à tirer dans leur propre camp, ces écervelées) mais une société qui s'obligerait à garantir leur sécurité, en tant que citoyennes parfaitement égales à tous les citoyens. Des citoyennes libres d'aller et venir, sans avoir à s'inquiéter d'être les possibles proies d'emmerdeurs qui se rebaptisent séducteurs et d'agresseurs auxquels on trouve des circonstances atténuantes dans le vêtement ou le comportement de leurs victimes. Des citoyennes libres de se vêtir ou dévêtir pour des raisons qui leur appartiennent et ne concernent pas toujours les hommes, qu'aussi surprenant cela soit-il, elles ne veulent pas forcément à séduire ou à auxquels elles ne cherchent pas toutes tout le temps à faire plaisir. Des humaines que l'on ne renverrait pas incessamment à la prétendue essence maternelle de leur sexe, pour justifier finalement quand on tombe à court d'arguments et cela en toutes "civilisations", les asymétries de traitement. Des humaines toutes différentes et qui n'appartiennent qu'à elles-mêmes.

 

Nous autres femmes, ne ne sommes pas un territoire de guerre. En revanche, nous avons normalement notre mot à dire sur les solutions de paix (Résolution 1325 de l'ONU - Adoptée le 31 octobre 2000). Mais si, quand nous parvenons à nous faire une petite place à la table des discussions (pardon, Monsieur et Monsieur, ce strapontin entre vous deux est-il libre?), le premier élément qui importe, ce n'est pas notre parole qualifiée à entendre mais dans quelle tenue disqualifiante nous nous donnons à voir, ça va être presqu'un peu compliqué de contribuer efficacement à démêler le merdier.