Idée reçue (1) : « le niveau baisse »

Il y a quelques jours paraissait une étude de l’OCDE intitulée PIAAC et qui évalue les compétences des adultes de 24 pays. Les résultats ont été rapidement commentés par la presse grand public, pour dire qu’une fois de plus la France se classe très médiocrement, mais seuls quelques sites spécialisés ont relevé une donnée plus qu’intéressante : le score des jeunes adultes est nettement supérieur à celui des adultes plus âgés.

Qu’évalue PIAAC ?

166 000 adultes âgés de 16 à 65 ans ont participé à des tests portant sur les compétences suivantes :

- la capacité à comprendre et à réagir de façon appropriée aux textes écrits (littératie) ;

- la capacité à utiliser des concepts numériques et mathématiques (numéracie);

- la capacité à accéder à des informations (trouvées, transformées et communiquées) dans des environnements numériques, à les interpréter et à les analyser.

Chaque individu obtient un score sur 500 points, et l’étude présente les résultats par pays en fonction de l’environnement socio-économique, des qualifications parentales, du sexe… et de l’âge.

Les jeunes adultes français nettement meilleurs que les plus âgés

Soyons clairs tout de suite : la France se classe globalement très bas, puisqu’en littératie elle est 22ème sur 24 (merci l’Espagne et l’Italie), qu’en numératie elle est 21ème sur 24 (ajoutez-y les Etats-Unis).

Mais si on se penche en détails sur les résultats en fonction de l’âge, on constate que les jeunes français de 18 à 24 ans sont très proches de la moyenne en littéracie, avec 274,6 points contre 277,0 en moyenne, soit 3 points d’écart avec la moyenne, contre plus de 10 points si on tient compte de tous les âges. En numératie, les français ont globalement près de 14 points de retard sur la moyenne, mais les 18-24 ans n’ont que 7 points de retard sur la moyenne (262,2 contre 269,4 points).

Dans tout l’OCDE, les 45-65 ans sont à la traîne derrière les jeunes générations, mais en France le contraste est plus marqué qu’ailleurs. Comme le note Eric Charbonnier, spécialiste éducation de l’OCDE en France, « les mauvaises performances de la France sont en bonne partie imputables aux résultats des 45-65 ans, tandis que les 16-44 ans obtiennent des scores plus proches de la moyenne (bien que toujours inférieurs à cette dernière). Plus l’âge augmente, plus les scores obtenus s’éloignent de la moyenne de l’OCDE ». Et l’expert d’ajouter : « Il y a donc eu un « rattrapage » de compétences en France sur ces dernières décennies ».

François Jarraud, dans le Café Pédagogique, enfonce le clou : « Dans un pays qui a glorifié l'époque du certificat d'étude, la preuve est faite que le niveau des jeunes est meilleur que celui des plus âgés ».

Au-delà des idées reçues…

Entendons-nous bien : le niveau baisse, ma p’tite dame, c’est un fait et personne ne va tenter de prouver le contraire. Mais de quel niveau parle-t-on ? De quelle baisse parle-t-on ?

On a tous entendu, à la machine à café ou chez mémé le dimanche midi, que « le niveau a bien baissé depuis mon époque », que « de mon temps, c’était bien mieux que ça, je vous le dit », etc. Or, si on se fie aux spécialistes, aux chiffres, aux historiens de l’éducation, il s’avère que :

OUI, le niveau des écoliers français est en baisse depuis une quinzaine d’années. Toutes les études le montrent, et sur le terrain on peut le sentir également.

NON, le niveau n’a pas baissé si l’on compare aux générations plus éloignées, si on remonte à plusieurs décennies.

On entend régulièrement dire que telle dictée de 1947 a été donnée à des élèves d’aujourd’hui et que ça a été la catastrophe, mais on oublie d’ajouter qu’en 1947 seuls 3% d’une classe d’âge avait le bac, contre 66% aujourd’hui… Ah l’orthographe, ce juge de paix… Pourtant Claude Lelièvre, l’historien de l’éducation, note que "si vous mettez entre parenthèses la question de l'orthographe, on a des élèves qui font des rédactions supérieures par rapport à des copies du certificat d'études de 1923".

Quant au sociologue Vincent Troget, il propose de changer de perspective : « Compte tenu du rôle autrement symbolique qu’avaient acquis l’orthographe, les dates de l’histoire de France et la liste des départements dans le processus de scolarisation, le sentiment d’une baisse générale de niveau se répand ainsi dans l’opinion publique. Si l'on change de critères, tout indique au contraire que le niveau a augmenté. De nombreuses connaissances nouvelles ont été introduites : géométrie et, désormais, langue vivante à l'école primaire, biologie, histoire contemporaine, géographie économique, approche linguistique de la littérature, sciences économiques et sociales, etc. (…). Certains critères d'évaluation sont devenus plus exigeants. Dans les années 30, par exemple, il suffisait qu'un élève sache déchiffrer à haute voix un texte simple et répondre à quelques questions de vocabulaire pour être jugé bon lecteur à la fin du primaire. Aujourd'hui, un élève n'est reconnu lecteur à l'entrée en sixième que s'il peut répondre par écrit à des questions montrant qu'il a compris le sens d'un texte après l'avoir lu silencieusement ».

Le niveau baisse depuis 4000 ans

On avait déjà abordé en détails, il y a deux ans ici-même, la question de la baisse du niveau scolaire. On avait entre autres compilé un certain nombre de commentaires de toutes les époques, plus désabusés les uns que les autres, sur le sujet. Plus que la baisse du niveau (alors que jamais dans l’histoire de l’humanité une si grande partie de la population n’avait atteint un tel niveau d’éducation), c’est le sentiment de la baisse qui semble universel, l'idée que les générations nouvelles ne sont pas à la hauteur des anciennes !...

Remontons le temps ensemble (toute ressemblance avec des propos récemment entendus à la machine à café serait totalement fortuite)…

1947, on tirait déjà la sonnette d’alarme, le baccalauréat est dévalué, trop de monde le réussit (3 % de la population, donc) : « Tout serait simple si le bachot remplissait encore sa fonction. Mais, submergé sous le nombre des candidats qui s’est accru prodigieusement, le baccalauréat a vu son niveau baisser d’une façon constante, au point qu’il ne suffit pas actuellement à qualifier pour l’enseignement supérieur. »

1911, le monde de l’entreprise via le Comité des Forges, ancêtre du MEDEF, constate la baisse du niveau général des recrues : « Les ingénieurs sont devenus incapables d’utiliser leurs connaissances techniques et de présenter leurs idées dans des rapports clairs et bien rédigés. »

1909 : « Conçu pour une élite, l’enseignement secondaire est donc inadapté à cette masse qui nous vient précisément de milieux sociaux, de familles dans lesquelles on n’a jamais possédé ou jamais ouvert un livre, en dehors de quelques ouvrages d’actualité. (…) Les élèves ne sont plus capables d’écrire, faute de n’avoir plus fait assez de latin, et ils ne comprennent pas ce qu’ils lisent. »

1835 : « D'où vient qu'une partie des élèves qui ont achevé leurs études, bien loin d'être habiles dans leur langue maternelle, ne peuvent même pas en écrire correctement l'orthographe ? " (in Coup d'œil sur l'état actuel de l'enseignement en France).

Socrate (470-399 av. JC) : "Notre jeunesse [...] est mal élevée, elle se moque de l'autorité et n'a aucune espèce de respect pour les anciens. Nos enfants d'aujourd'hui [...] ne se lèvent pas quand un vieillard entre dans la pièce, ils répondent à leurs parents et bavardent au lieu de travailler. Ils sont tout simplement mauvais."

Hésiode (720 av. JC) : "Je n'ai plus aucun espoir pour l'avenir de notre pays si la jeunesse d'aujourd'hui prend le commandement demain, parce que cette jeunesse est insupportable, sans retenue, simplement terrible."

Datant de 1000 avant JC environ, ce texte retrouvé sur une poterie d’argile dans les ruines de Babylone :"Cette jeunesse est pourrie depuis le fond du cœur. Les jeunes gens sont malfaisants et paresseux. Ils ne seront jamais comme la jeunesse d'autrefois. Ceux d'aujourd'hui ne seront pas capables de maintenir notre culture."

Un prêtre égyptien, vers 2000 av. JC : "Notre monde a atteint un stade critique. Les enfants n'écoutent plus leurs parents. La fin du monde ne peut pas être très loin."

 

Nota : par ailleurs, l’étude PIAAC fournit des renseignements intéressants, on pourra en lire les synthèses d’Eric Charbonnier sur son blog et François Jarraud sur le site du Café Pédagogique. On peut aussi consulter l’étude complète (en anglais), ou son résumé sur le site de l’OCDE.

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