Sarkozy : « Jadis nos instituteurs, qui aimaient la République… »


Les quelques instants consacrés à l’école, lors du dernier discours de campagne prononcé par Nicolas Sarkozy à Toulon, permettent de comprendre pourquoi le Président et le monde de l’enseignement se sont ratés dans les grandes largeurs durant ce quinquennat.

"La République, c'est le plus beau rêve de la France. C'est le plus beau rêve que nous ont fait partager jadis nos instituteurs, qui aimaient la République, qui aimaient enseigner, qui aimaient transmettre, et qui avaient à cœur d'ouvrir toutes les intelligences au savoir parce qu'ils ne croyaient qu'à l'excellence, parce que l'école de la République, c'est le refus du nivellement, et c'est la croyance dans l'excellence [applaudissements]. La République, ce n'est pas un système de laisser-aller. La République,  c'est un système de devoirs. La République, ce n'est pas un système de laxisme, c'est un système de responsabilité, la République. Ce n'est pas un système de nivellement. C'est un système de mérite. Quand un enseignant ose dire "je ne lirai pas la lettre de Guy Môquet parce que je ne suis pas là pour parler de la nation" [huées], c'est une honte pour la république".

Voilà, tout est là : la vision nostalgique du « jadis », cette époque ancienne et regrettée qui sent bon la blouse grise et l’encrier, ce temps déjà évoqué par JF Coppé, où «les instituteurs et leur école savaient répondre à leurs missions ». L’imparfait sépia utilisé par le Président sert ici à décrire tout ce que les instituteurs faisaient en ces temps bénis autant qu’il pointe ce qu’ils ne font plus ces jours-ci : ils n’aiment plus la République, ils n’aiment plus enseigner,  ils n’aiment plus transmettre, ils n’ont plus à cœur d’ouvrir toutes les intelligences au savoir, car ils ne croient plus à l’excellence. Aujourd’hui à l’école, c’est le règne du nivellement, du laisser-aller, du laxisme (« on n’apprend plus la politesse à l’école », a déclaré le Président quelques instants plus tôt).

Pire : non content de se complaire dans les compromissions morales les plus méprisables, les enseignants ne veulent pas parler de nation (admirez le glissement  République-Nation, ligne 9), ni lire la si émouvante lettre de Guy Môquet par pur esprit de contradiction. Ça mérite bien les huées d’un public ravi !

Voilà. Voilà avec quoi les enseignants doivent composer depuis 5 ans : une vision caricaturale, idéologique, totalement déconnectée de la réalité, inconsciente de ce qui se joue sur le terrain, la référence continuelle à une école fantasmée. Un discours méprisant, moqueur, faisant passer toute une profession, sans nuance, pour des profiteurs dénués de scrupules [mercredi encore, au débat : « 18 heures par semaine, rendez-vous compte, et sur 8 mois ! »], des opportunistes invertébrés, sans structure morale, sans déontologie, incapable de don de soi, d’investissement personnel, des incompétents au mieux, des incapables vraisemblablement, des convaincus de la médiocrité, des adeptes du moins, des résolus au pire, des changeurs de couches c’est dire. Une honte pour la République.

Dans le petit livre d’images que le Président Sarkozy tend aux français depuis 5 ans, les enseignants n’écoutent ni n’entendent, il n’est pas possible de discuter avec eux, ils sont engoncés dans leur petit confort, confits dans leurs habitudes, infoutus d’évoluer, corporatistes conservateurs agrippés à leurs faramineux privilèges ; les mauvais résultats de l’école s’expliquent d’ailleurs très simplement : les enseignants en sont les uniques responsables, seuls coupables d’évidence (heureusement, dans ce dévoiement les phares veillent : curé et famille sont là).

Permettez-moi de vous dire, monsieur le Président, que si vous aviez pris le temps de venir nous voir, de nous écouter, de nous considérer comme des interlocuteurs dignes de ce nom, c'est-à-dire porteur d'une réalité qui a quelque chose à vous dire, si vous aviez pris la peine de voir les enseignants non comme un corps ennemi asséché aux réactions grégaires mais comme une profession vivante aux multiples courants contradictoires, si vous n'aviez pas soufflé le chaud et le froid, passant d'un discours flatteur à un réquisitoire acéré, si vous n'aviez pas joué la division entre les enseignants, entre les enseignants et leur hiérarchie, l'opposition entre les enseignants et les familles, entre l'école et la société, entre les fonctionnaires et le privé, si vous aviez en lieu et place de ces incessants clivages cherché à rassembler réellement le pays autour d'un véritable projet d'éducation, alors ni nous, enseignants qui aimons tant la République, enseigner, transmettre, qui avons tant à cœur d'ouvrir toutes les intelligences au savoir, ni surtout vous, monsieur le Président, n'en serions là où nous en sommes aujourd'hui.

 

La vidéo du discours est visible ici, la partie sur l'école est à 22’55.

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