Ras le burkini

Un été douloureux s'achève, la rentrée se profile, les candidats potentiels à l'élection présidentielle s'alignent sur la ligne de départ et un seul sujet semble les passionner, de même que leurs (rares) camarades candidats à rien du tout et les médias qui les environnent : le burkini. Dernières occurrences en date à la suite de la décision du Conseil d’Etat ayant invalidé un arrêté anti-burkini-sur-plage, tant M. Christian Estrosi que M. Nicolas Sarkozy souhaitent, voire annoncent, une réforme de la Constitution afin de pouvoir légiférer sur le costume de bain en cause sans être gênés aux entournures par deux ou trois libertés encombrantes et (supposément) garanties par le vénérable texte.

Tunisiennes sur plage Ghar ElMelh près Bizerte

Au-delà de la consternation que l'on peut éprouver au spectacle de tant de brillants esprits s'écharpant sur un sujet aussi dépourvu d'intérêt, on ne peut que s’interroger sur les possibilités réelles de réforme de la Constitution sur ce point.

L’objectif avancé de cette éventuelle réforme de la Constitution serait d’interdire le burkini sur les plages françaises.

Il convient de rappeler que les textes à valeur constitutionnelle réunissent notamment la Constitution du 4 octobre 1958, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le préambule de la Constitution de 1946, pour citer les plus éminents. On peut d'ores et déjà souligner que leur majuscule initiale suppose probablement que leurs rédacteurs aient eu l'intention de leur conférer un aspect solennel minimal que reflète au demeurant leur contenu.

Réformer la Constitution impliquerait de modifier l’un de ces textes fondamentaux pour résoudre un non-problème, qui existe essentiellement dans le débat politique [insérer un smiley "visage qui lève les yeux au ciel"] et ne concerne qu'une poignée de situations réelles.

Si une telle réforme est toujours juridiquement possible, dès lors qu'elle matérialiserait la volonté d'un nombre suffisant de nos parlementaires, je peine quelque peu à imaginer la rédaction d’un texte se limitant à la tenue de bain de certaines femmes de confession musulmane, à moins que ne soit envisagé l’interdiction de tout signe, toute manifestation d’une opinion religieuse quelle qu’elle soit dans l’espace public (ce qui aurait pour avantage de régler définitivement la question, mais risquerait de couper l'auteur de cette réforme d’une partie non athée de son électorat).

Pour le dire clairement, je doute que MM. de Gaulle et Debré aient imaginé qu'entre les dispositions évoquant la répartition des compétences des pouvoirs législatif et exécutif, de l'autorité judiciaire et du Conseil constitutionnel puisse un jour se glisser un Titre nommé "de l'interdiction des costumes de bain trop couvrants à tendance provocante car musulmane".

En outre, modifier la Constitution ou même la loi dès lors qu’un homme politique se trouve privé de la possibilité d'imposer ce qu'il souhaite/trouve moralement ou esthétiquement ou religieusement convenable/trouve électoralement payant me semble excessif - je sais, je me répète.

Au-delà des difficultés de rédaction de cet éventuel texte, il convient de rappeler sur le plan pratique qu’une modification de la Constitution doit nécessairement passer par un vote des trois cinquièmes du parlement (Sénat et Assemblée Nationale réunis en congrès) ou par un référendum, ce qui implique donc un certain consensus sur la question et, très prosaïquement, coûte très cher en termes d'organisation.

J’ai du mal à imaginer qu’un Président de la République en exercice n'ait pas plus important à faire de ses journées, et prenne un tel risque à seule fin d'encadrer légalement un phénomène quantitativement réduit (je croise pour ma part régulièrement le seul burkini que j'aie vu de ma vie à la piscine, sans qu'aucun des usagers ne s'en sente provoqué ni menacé). Risque électoral certes, mais risque de ridicule plus conséquent encore.