A Idleb, on ne se marie plus comme avant

Photo John Willis

Vivre dans un pays en guerre, cela vous oblige souvent à abandonner de nombreuses coutumes. Il faut bien s'adapter à sa nouvelle vie, surtout lorsqu'il n'y a plus de sécurité et que les conditions minimales d'une existence "normale" ne sont pas réunies. Cela vaut pour ceux qui sont restés à l'intérieur de la Syrie, mais également pour ceux contraints à l'exil et au statut de réfugié dans tel ou tel pays du monde.

L'article qui suit a été publié le 10 mai 2015 par Sada Al Sham, un journal hebdomadaire qui a une couverture générale et diversifiée de la Syrie.  Il s’adresse à la classe moyenne syrienne en se concentrant sur les formats longs de reportage. L’équipe de Sada Al Sham se compose de 12 rédacteurs, 5 correspondants et 25 pigistes sur le terrain, dont Diana Mourad, auteure de l'article.

 

Parmi les us et coutumes syriens, c'est sans doute le mariage qui a connu le plus de modifications pendant les quatre dernières années. A Idleb, où la guerre a fait d'énormes dégâts, on ne se marie plus comme avant.

 

Photo Sada Al Sham

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Des contraintes matérielles, d'autres psychologiques

La mère de Khaled vient de Jabal al Zawiya (région montagneuse proche d'Idleb où un massacre a fait de nombreuses victimes fin 2011). Elle a marié son fils à l'été 2013: "Nous n'avons pas pu offrir de buffet à nos invités. Il a fallu se contenter de quelques pâtisseries en boîte", précise-t-elle. "Nos moyens ne sont plus les mêmes et ne nous permettent plus de suivre la tradition. De plus, l'ambiance générale est aux bombardements. Des martyrs tombent tous les jours. Ce serait une honte de manifester de la joie dans de telles circonstances. Aussi, on ne pose plus les mêmes conditions qu'avant, pour le mariage dans notre région. La plupart des familles n'imposent plus les mêmes conditions matérielles aux mariés. La dot offerte à  la famille de la mariée ne doit plus être aussi élevée. Il n'est pas nécessaire non plus que les jeunes époux disposent de leur propre foyer. Ils peuvent continuer à vivre avec la famille du jeune marié. Dès lors que celui-ci semble avoir de bonnes moeurs, les parents de la jeune femme peuvent approuver leur union".

Les bonnes moeurs avant tout

Quant à la mère de Yasser, originaire de Saraqeb, elle estime avoir marié sa fille "il y a de cela deux mois à un jeune homme qui a de très bonnes moeurs, mais qui n'a pas lui offrir qu'une simple alliance en or et a organisé une modeste fête de mariage dans la maison de ses parents. Ce qui compte c'est que le jeune homme soit respectable et que ma fille mène une vie stable avec lui".

Mariage virtuel

De nombreux jeunes d'Idleb ont du se réfugier hors de Syrie et notamment les jeunes diplômés qui ont préféré ne pas porter les armes. Ceux-là sont à l'origine de nouvelles coutumes qui n'existaient pas avant la révolution. On peut aujourd'hui se marier "in absentia".Le jeune homme est à l'étranger; la jeune femme en Syrie (ou ailleurs). La mère du jeune homme va demander la main de la jeune femme. Les deux sont désormais fiancés. C'est alors que le contrat de mariage religieux est conclu de manière tout à fait virtuelle. Le mari entreprend ensuite des démarches de regroupement familial et son épouse peut le rejoindre dans le pays où il se trouve et selon les lois de ce pays, où ils ont tous deux trouvé refuge.

De nombreuses jeunes femmes ont ainsi fait la connaissance de leur futur époux par Internet.

Mariam Alagha est originaire d'Idleb et réfugiée en Turquie. Elle n'aurait jamais pensé se marier un jour "à distance", et rejoindre son mari en France. Un homme avec lequel elle n'avait pu discuter que par Skype. Lors d'un entretien, elle nous précisait: "Je me serais attendue à tout, sauf à ça: un mariage virtuel! Sans aucun signe de joie. Rien. Je suis heureuse avec mon mari, aujourd'hui, en France. Mais la manière dont notre mariage s'est déroulé... Ca me fera toujours mal au coeur".

Toutefois, il ne faut pas oublier qu'il existe des familles qui imposent au jeune époux de nombreuses contraintes matérielles. Certains pères font alors peu de cas de ce que pensent leurs filles. C'est ainsi que de nombreux rêves sont détruits, comme c'est le cas pour Hend qui nous a confié que "de nombreux jeunes gens s'étaient présentés, d'un âge tout à fait convenable. J'aurais voulu me fiancer à l'un d'entre eux, mais mon père ne m'a laissé aucune chance. Je n'ai pas eu mon mot à dire sur mon avenir. Il m'a dit qu'il connaissait mon propre intérêt mieux que moi-même. Un jeune homme très cultivé et respectable, ayant de bonnes manières a demandé ma main, mais mon père lui a demandé de m'offrir de l'or et une dot importante. Il n'en avait pas les moyens. Alors mes parents l'ont refusé".

Les mariages d'antan

Avant la révolution, les mariages à Idleb se déroulaient de la manière suivante: une partie de la famille du jeune homme rendait visite à la famille de la jeune femme pour demander la main de celle-ci. La famille de la jeune fiancée cherchait alors à s'informer de la réputation du jeune homme et des siens. S'ils acceptaient de procéder aux fiançailles, ils réclamaient alors une dot, ainsi qu'une somme convenue qui serait payée à la jeune femme en cas de divorce. Une date était alors fixée pour échanger les alliances en présence des familles et de certains notables de la région. Venaient ensuite les préparatifs du mariage. Sept jours avant celui-ci, un groupe de dames accompagnait la jeune fiancée et sa mère au hammam puis l'on célébrait ensemble l'approche du mariage par la consommation de mets populaires au marché. Puis venait le soir du "henné", la veille du mariage, où chacun des futurs mariés se faisait appliquer sur la main un dessin au henné. Sept jours de célébration, donc, avant le mariage lui-même. Les parents du jeune homme se chargeaient enfin du repas du mariage qui devait être organisé chez la famille de la jeune femme. On amenait celle-ci ensuite de chez elle, où les femmes chantaient et dansaient, à la maison de l'époux où une fête était organisée jusqu'au matin.

 

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La région d’Idleb, située au sud-est d’Alep, est divisée entre certaines zones contrôlées par l’opposition (Armée libre et Front Al Nosra) et d’autres zones sous le contrôle du régime. L’organisation de l’Etat Islamique tente de se propager également dans la région. On y vit dans un risque permanent, entre les bombardements incessants du régimes visant les populations et les combats entre les différents groupes armés.

La situation humanitaire s’y détériore, et l’accès aux besoins de base (eau, nourriture, santé, éducation, électricité) est extrêmement difficile. Plus de 70 000 personnes déplacées y vivent.