IGS : qui croyait prendre...

La ¨Police des polices" de Paris, les fameux « bœufs carottes » directement mis en cause par le ministre de l’Intérieur, c'est une petite révolution! Dans un entretien à nos confères du Monde, Manuel Valls met sérieusement en cause le fonctionnement de l’Inspection général des services (IGS) et annonce de profonds changements. Il exige dans la foulée, le départ de Claude Bard, son actuel patron. Un chantier qui toucherait également l’Inspection générale de la Police Nationale (IGPN) puisque cette dernière, compétente sur l’ensemble du territoire, récupérerait sous son giron l’Inspection parisienne. Jusque là, celle-ci était traditionnellement rattachée au Préfet de police de Paris.

Cette annonce dans les colonnes du journal est le dernier tableau à la façon d’un polar de Claude Zidi. Mais dans ce film-là, les "Ripoux" ne sont finalement pas ceux annoncés au début du scénario. Les masques sont tombés : les corrompus ont été démasqués et les victimes enfin reconnues comme telles. Mais cela s'est joué à un cheveux: il a d'abord fallu que les langues se délient et un nouveau pouvoir politique pour que sorte enfin la vérité.

"Enfin"…. Car l’affaire ne date pas d'hier! Elle remonte à 2007 et n'a pu être révélée qu'en 2012 par le quotidien du soir. Comme l’a confirmée la justice depuis, l’IGS a sciemment truqué une procédure. Tout commence en 2007 lorsque la police des polices est alertée d’une suspicion de trafic de titres de séjour au service des affaires réservées de la préfecture de police de Paris. L'enquête se déroule tambours battants (ce qui n'est pourtant pas le genre de la maison) et rapidement de hauts fonctionnaires sont mis en cause.

Discréditer des policiers de gauche?

En fait, il apparaitra plus tard que les bœufs carottes ont monté  un « turbin », un faux dossier, pour discréditer  apparemment à l'approche des présidentielles, Yannick Blanc, alors directeur de la police générale et son adjoint Bruno Triquenaux. Sans oublier Christian Massard, un policier affecté à la sécurité de Daniel Vaillant! Des fonctionnaires réputés « de gauche » que l’on aurait voulu écarter de l’organigramme de la Préfecture de police. Deux autres fonctionnaires seront également mis en cause par l'IGS : Zorha Medjkoune et Dominique Nicot. Gardes à vue, mises en examen, les cinq policiers sont suspendus dans la foulée. Pourtant ils n'ont jamais cessé de clamer leur innocence.

Il faut attendre janvier 2011 qu'enfin la justice reconnaisse la dérive de l'enquête de l'IGS: "....dans un arrêt cinglant, la Cour d'appel de Paris a réduit à néant l'enquête tronquée et innocenté les fonctionnaires", expliquent nos confrères du Monde. Les accusés bénéficient d’un non-lieu! Et en effet, les commentaires de la Cour d’appel sont "cinglants" ! Les magistrats mettent en lumière un fonctionnement opaque et malhonnête de la part de chefs de l’IGS. Des procès verbaux trafiqués à l’insu même des policiers rédacteurs, des retranscriptions d'écoutes bidouillées pour en changer le sens, des pressions sur les témoins, des gardes à vue excessives... « Le patron de l'IGS va jusqu'à rémunérer à l'aide de son propre chéquier un "expert" douteux », affirment les journalistes du Monde reprenant les conclusions de la procédure.

La juge dans le collimateur

Aujourd’hui, on pourrait dire que justice est rendue du moins pour ce qui est de la réparation faite aux victimes. Les fonctionnaires ont tous été réintégrés ou sont en passe de l'être. Yannick Blanc a été nommé Préfet du Vaucluse. Dans Le Monde, le ministre explique qu'il a également demandé à ce que leurs soient restituées les primes et indemnités, dont ils avaient été privés.

Mais les avocats des policiers ont une autre cible: la magistrate qui a mené cette enquête tordue. Dans ces affaires, on a souvent tendance à l'oublier (notamment nous les journalistes), mais derrière les enquêteurs il y a un Parquet et un magistrat. Il est le vrai patron, celui qui décide de la manière dont les investigations doivent être menées! Dans ce dossier, c’est une magistrate: Michèle Ganascia. Elle est aujourd’hui dans une mauvaise passe, soupçonnée d’avoir suivi aveuglément les conclusions bancales de l’IGS et de ne pas avoir prêté une oreille attentive aux arguments de la défense. Visée par des requêtes pour manquements "à l'obligation d'impartialité et de célérité", elle sera le premier juge du siège à répondre de ses actes devant le CSM (Conseil Supérieure de la Magistrature). Cette mesure a été rendue possible grâce à une loi votée en 2008. Cette dernière autorise les justiciables à saisir directement l'institution pour se plaindre du comportement d'un magistrat. Le CSM se réservant la possibilité d’enquêter sur les faits et d’engager des sanctions disciplinaires.

L'IGS en chiffre

En 2010 , l'IGS parisienne a mené 1122 enquêtes, 40% de ces enquêtes ont été lancées par les autorités judiciaires, 40% demandé par des particuliers, et 20% par l'administration. Elles ont débouché sur "300 propositions de sanctions". Selon le représentant de la Préfecture de police, cette statistique serait grosso modo similaire d'année en année.