Jusqu’où un avocat peut aller pour attirer des clients ? Peut-il se targuer d'avoir tirer d'affaire un délinquant notoire et faire sa publicité sur un procès remporté? Ce sont les questions que l’on peut se poser après l'initiative étonnante d'une avocate parisienne spécialisée dans les délits routiers. Via une agence de communication, elle a récemment envoyé à plusieurs journalistes un mail au contenu quelque peu déroutant.
Un discours commercial cynique
Les premières lignes du communiqué annoncent la couleur : "Contrôlé à 234 km/h avec un taux d'alcool de 0,57 mg/litre d'air, il est relaxé...”. Le dossier cité en exemple a été remporté par l’avocate “grâce” à un vice de procédure et le fond de l’affaire n’est pas reluisant.
Les faits se sont déroulés en 2011. Le chauffard avait été interpellé par les gendarmes du Gard. Au volant de sa Porsche, il roulait alcoolisé sur une route départementale à 150 kilomètres/heure de plus que la vitesse maximale autorisée ! A l'audience, l’avocate du délinquant a fait valoir qu’il manquait le procès-verbal de constatation du délit routier. Les magistrats ont dû s’incliner.
Que cette avouée considère que l'issue du procès est une victoire pour elle et son client, n'est pas en cause. L'honneur d'un avocat est de vouloir défendre tous les suspects quelles que soient les accusations dont ils sont l'objet. Loin de remettre en question la place irremplaçable du défenseur dans les dossiers les plus complexes, on ne peut que se sentir mal à l'aise à la lecture de ce communiqué, surtout lorsque l'on connaît le fond de l'affaire. D'autant que la suite enfonce le clou : tout à son souhait de mettre en avant la panoplie de ses talents, le discours commercial de l'avouée frôle l’indécence lorsqu'elle se propose de garantir “la sauvegarde de votre permis en cas de retraits de points, d'annulation ou de suspension du permis de conduire, de conduite en état d'ivresse ou d'accidents de la route (victime ou responsable)."
Émotion à la Sécurité Routière
C’est surtout cette dernière phrase, qui a fait bondir le Délégué Interministériel à la Sécurité routière. Fréderic Pechenard: “C’est comme dire “tuez, assassinez et je vous éviterais la prison!”". Dans un courrier envoyé au Bâtonnier de l’Ordre des avocats, le délégué “s’étonne de cette publicité quand l’alcool et la vitesse sont les premières cause d’accidents mortels”. Il rappelle également que l'année dernière encore, “1100 vies auraient pu être préservées, si aucun conducteur n’avait roulé avec un taux d’alcool positif”. Contactée, une représentante de l’Ordre des avocats m'a précisé que le courrier avait été pris en compte et que le Bâtonnier préparait une réponse...
Une manne pour certains avocats
Les délits routiers sont devenus une opportunité professionnelle pour pour des cabinets d'avocats de plus en plus nombreux à se mettre sur le créneaux. L'arrivée du permis à point et le durcissement de la lutte contre la délinquance routière a indéniablement ouvert un marché et les honoraires moyens se joueraient entre 900 et 2000 euros. Pour se faire connaître, de plus en plus d'avoués créent leurs sites sur internet. Mais dans cette jungle de noms, comment se faire remarquer ? D’où la tentation pour certains de se mettre en avant, avec le risque de déraper comme cette avocate parisienne. De quelle manière alors attirer sobrement un client au profil si particulier ? Un avocat a le droit de faire de la publicité personnelle mais, précise le Règlement intérieur des avocats édicté par l’ordre : « elle doit être véridique, respectueuse du secret professionnel et mise en œuvre avec dignité et délicatesse. Quelle que soit la forme de publicité utilisée, toutes mentions laudatives ou comparatives et toutes indications relatives à l’identité des clients sont prohibées ". Dignité et délicatesse... Pas si simple quand il s'agit d'attirer des chauffards de la route!