C’était Jean-Marie Le Pen (2)…

Jean-Marie Le Pen lors d'une réunion privée du FN au début des années soixante-dix. (Le Pen, Éditions Objectif France, 2001).

Jean-Marie Le Pen va-t-il être tête de liste pour les régionales en PACA ? Et, de ce fait, s’opposer à sa petite fille Marion Maréchal Le Pen dans une des terres d'élection du FN ? Aujourd’hui, il semblerait que l’ancien président envisage d’être un des acteurs principaux de l’histoire de son parti lors de la rentrée politique. Depuis quelques temps, il réactive son réseau. Il a contacté plusieurs de ses anciens cadres... qui avaient déserté le Front national depuis un bon moment. D'autres, suspendus récemment du parti pour leur critique sur la ligne actuelle du FN, sont à l'origine de l'éventuelle liste lepéniste dissidente en PACA.

La situation actuelle insiste sur un des aspects centraux de l’histoire du FN : un mouvement qui, quasiment depuis qu’il est apparu sur la scène politique française, se voit déchiré par des rivalités internes. Aujourd'hui, une des nouveautés - et non des moindres - réside dans la contagion de ces ambitions concurrentes à la sphère familiale (en dehors de la scission mégrétiste) et la mise à l'écart de Jean-Marie Le Pen. Cet énième épisode met en évidence l’optique du pouvoir de Jean-Marie Le Pen qui s’est toujours considéré comme le pivot, l’âme et le moteur du FN. Un président qui entend contrôler ce qu’il considère comme sa propriété personnelle et qui ne souhaite, en aucun cas, la laisser lui échapper.

Une condition sine qua non : être président du FN

Lorsque François Brigneau propose le nom Le Pen, à la fin de l'année 1971, aux membres du bureau politique d'Ordre nouveau (ON), cela ne se passe pas totalement comme il l’avait imaginé. L’ancien milicien pense que son ami va accepter immédiatement. Mais la réponse, sous-tendue par une condition, se fait attendre. À ce moment, Dominique Venner et Jean-Jacques Susini ont déjà décliné l’offre. La recherche d’un porte-parole « idéal » - qui puisse donner au futur FN un nouveau visage – continue plus que jamais.

François Brigneau sait que le carnet d’adresses de Jean-Marie Le Pen est déjà bien rempli. Il est conscient que l’ancien député poujadiste a un autre point fort : son côté fédérateur et trans-générationnel pour cette formation qui doit représenter l’extrême droite française. Car, au début des années soixante-dix, Jean-Marie Le Pen « parle » aussi bien aux partisans de l’Algérie française qu’aux anciens collaborateurs ou encore aux anciens poujadistes.

Dans un entretien qu’il m’accordait en mai 2013, Jean-Marie Le Pen revient sur la manière dont son ami lui a présenté le projet FN : « François Brigneau vient me voir et me parle de cette idée : créer un grand parti. Je lui demande immédiatement : "Qui va être le président : c’est toi ? "

François Brigneau me rétorque : " Il n’en est pas question. Je suis journaliste. " Je lui réponds : " Si ce n’est pas toi, ce sera moi. Car tu imagines bien que je ne vais pas être le subordonné d’Alain Robert qui a 23 ans ".

Mon ami me dit alors : " Il n’y a aucun problème. Tout le monde est d’accord pour que tu sois le président" ».

Début 1972, des contacts réguliers s’établissent entre Jean-Marie Le Pen et quelques militants d’ON. Ces derniers – à l’origine de la création du FN - sont persuadés qu’il est leur homme « providentiel ». Mais un des aspects de la personnalité de Jean-Marie Le Pen leur saute immédiatement aux yeux. À l’issue de leur premier face-à-face dans le bureau de la Serp de Jean-Marie Le Pen, un ancien d’ON se souvient :

« Il nous a pris pour des gamins. Je lui ai expliqué ce qu’on voulait : se lancer dans la politique, créer un parti de la droite nationale à l’image du MSI. J’ai fait valoir les structures d’Ordre Nouveau, notre fichier, nos milliers de militants. Le Pen a répondu : " C’est une excellente idée. Votre analyse rejoint la mienne. J’en prends la tête." On n’était pas contre : on ne venait pas le chercher pour qu’il colle nos affiches. Mais il n’y mettait pas les manières. On était en face d’un type plein de morgue ».

François Brigneau convainc les dirigeants d’ON de prendre cet homme comme président du FN. Des années plus tard, son commentaire sera cinglant : « Ils n’en furent pas récompensés. Moi non plus ! »

Le FN, c’est Jean-Marie Le Pen

Une réaction de Jean-Marie Le Pen reflète bien son état d’esprit. Alors qu’il se trouve à un meeting de son parti, il voit une banderole écrite et affichée par ON : « Nous sommes le Front national ». Immédiatement, il réagit. Le FN, dit-il en substance, ce n’est pas eux. C’est moi. Ceux d’Ordre nouveau souhaitent simplement en faire partie !

Jean-Marie Le Pen est en train d’inverser le cours de l’histoire et de le ramener à lui seul. La personnalisation, l’identification totale de Jean-Marie Le Pen à son parti sont deux constantes de l’histoire du FN.

Jean-Marie Le Pen en compagnie de Jean-Pierre Stirbois à une réunion privée.

Jean-Marie Le Pen en compagnie de Jean-Pierre Stirbois à une réunion privée.

 

Lors du Congrès de Nice (19-21 avril 2003), il se trouve à la tribune et évoque la retraite, à 95 ans révolus, du « chasseur de nazis » Simon Wiesenthal. C’est une nouvelle occasion pour Jean-Marie Le Pen de se réaffirmer « seul maître à bord » au sein de son parti et de lancer cet avertissement :

« S’il y a des gens qui souhaitent prendre ma place, je leur conseille de réfléchir avant car ils ne savent sans doute pas ce que ça représente comme difficultés. (...) Il y a des gens qui meurent avant leur père ou avant leur président ».

Une mise au point qui semble préserver toute son actualité aujourd'hui.