La fabrique des cadres et des militants FN

Page de couverture du premier support papier de la formation FN (1978 - archives personnelles)

« Donnez-nous du temps ! En 2007, nous faisions 4,5 % aux législatives. On augmente notre score aux cantonales de 2011 de 10 points... Ce n'est pas rien. Nous sommes au seuil de la bascule. Ce qui se passe est un basculement majeur de la vie politique depuis quarante ans. Toutes les cartes sont rebattues. On va fabriquer des cadres, des militants. On aura des relais dans les cantons qui seront implantés, qui interviendront dans la presse, qui connaitront les dossiers locaux. C'est incontournable et c'est ce qui nous manquait. (…) Je remplis, en tout cas, mon contrat : implantation locale, professionnalisation, normalisation. C'était le triptyque de mes engagements quand je suis arrivée à la tête du FN ».

Ces propos de Marine Le Pen, prononcés au soir du second tour des élections départementales (Le Monde, 29 mars 2015), demandent à être nuancés. Le FN de Marine Le Pen n'est, en aucun cas, à l'origine de la formation de ses militants. Certes, Louis Aliot s'occupe de ce domaine depuis janvier 2013. Mais les divers enseignements et cours pratiques proposés aujourd'hui aux militants et cadres du FN s'inscrivent dans le prolongement de l'histoire antérieure.

Il s'agit donc de nous plonger dans un domaine que le FN a particulièrement soigné depuis le début des années soixante-dix : la fabrique des cadres et militants FN.

Petit historique (1972-2015)

Quasiment dès son apparition, le Front national propose une formation politique à ses militants et cadres. Elle existe sous deux formes : une formation continue, dispensée lors des rendez-vous fondateurs de l'histoire du FN (camps, universités d'été, congrès, etc.) et une autre, la principale, davantage institutionnelle et technique, qui prend la forme d'un dispositif de formation autonome.

Après plusieurs tentatives avortées, la formation frontiste s'impose, au début des années quatre-vingt-dix, avec Bruno Mégret et Carl Lang entourés de leurs équipes. S'articulant sur un registre doctrinal et pratique, elle est, à ce moment, certainement une des meilleurs parmi les formations dispensées au sein des partis politiques français. Techniques de propagande, gestion, organisation, réponses à l'adversaire, devoirs et fonctions des responsables et des adhérents : rien n'est laissé au hasard. Le parti d’extrême droite forme alors des centaines de jeunes, militants et cadres et parvient à constituer un appareil solide et expérimenté. Stoppée brutalement avec la scission fin 1998, la formation FN est réactivée par le Campus Bleu Marine, en vue des municipales du printemps 2014.

La formation politique et pratique, son histoire, son évolution et ses spécificités soulignent la volonté pérenne et cohérente du Front national de se doter d'un appareil performant, à la hauteur de ses ambitions politiques. Représentant les principaux relais d'influence du parti, les élus font face à des « professionnels » de la politique, d'où la priorité donnée à l'histoire de leur parti, à la connaissance du programme frontiste et à l'apprentissage des réflexes politiques. Au FN, la formation s'intègre avant tout dans un travail de restructuration idéologique dans le cadre de son unification doctrinale. Il s'agit d'apprendre à penser et à parler Front national.

La première formation FN

 Les premières tentatives de mises en place des formations s’accolent aux premières années de l'histoire du FN : elles n'aboutissent pas à des résultats significatifs. Pendant les quinze premières années, il n'existe pas de véritable école de formation au FN. Ce qui ne signifie pas que le parti de Jean-Marie Le Pen n’accorde pas une place importante à ce domaine. Deux publics sont ciblés : les jeunes puis les militants et les cadres.

En septembre 1974, la création de l'Institut des Études Nationales (IEN) marque la première étape de l’histoire de la formation frontiste. Jean Bourdier, Jean-François Chiappe (l’historien et homme de radio), François Duprat ou encore Victor Barthélémy - les formateurs « maisons » et « nationaux » - dispensent quelques heures de cours hebdomadaires, au siège du FN, rue de Surène dans le VIIIème arrondissement, devant une trentaine de personnes, militants et cadres. Le but ? En plus de l'idéologie du parti, la transmission des bases du langage politique afin que les futurs cadres de l’organisation puissent apporter la contradiction à leurs « adversaires », connaître toutes les « ficelles du militantisme » et perpétuer leur « idéal ».

Un formatage idéologique et l’apprentissage d’une « unité de pensée frontiste »

 Quatre ans plus tard, un département de formation politique générale est créé au sein du FN. Ce projet répond à une « arrivée constante de jeunes gens très souvent profanes » dans les rangs du parti d'extrême droite. Il s'inscrit dans le cadre de l'entreprise de réorganisation et de formation des cadres politiques du mouvement.

C'est un impératif. Il est nécessaire, avance l'initiateur du projet, de « reprendre dans les plus brefs délais une formation politique la plus complète possible » ; l'objectif à court terme étant de fournir des cadres « aptes sur tous les plans à diriger une section » ou à mener des « actions militantes » . À partir d'octobre 1978, le parti d'extrême droite dispense sa première formation politique doctrinale et technique. Par son biais, le FN entend donner à ses militants et cadres une sorte de mode d'emploi complet de la politique leur permettant de « participer à des discussions publiques ou privées sans déficience et sans s'écarter de la ligne du FN ».

Cette formation s’oriente dans trois domaines, dirigés chacun par trois personnes reconnues comme des spécialistes au sein du FN. La formation historique et idéologique, dispensée par Jean-François Chiappe, est destinée à mieux faire comprendre le « véritable sens du combat » militant. André Delaporte s’occupe de la formation doctrinale. Celle-ci se concentre sur le programme du FN et sur ses orientations majeures. La troisième formation, dite « pratique », rend compte des multiples « aspects matériels du militantisme élémentaire ». C'est le domaine de Franck Timmermans. Le Guide pratique de la section et du militant, premier support papier de la formation FN, revient sur « chaque aspect du métier militant, en démonte les rouages pour mieux les comprendre et les assimiler ». Sa page de couverture donne un aperçu de la vingtaine de feuillets proposée à des militants néophytes :

« COMMENT créer une section même sur une île déserte, COMMENT l’organiser, la développer, et ne jamais la saborder... TOUT ce que vous devez savoir pour réussir vos dîners-débats, réunions, meetings, manifs, etc. COMMENT militer, pratiquer une bonne propagande et ne pas coller une affiche à l’envers... COMMENT participer aux élections sans se retrouver avec 10 millions de dettes, BREF un ABC pour faire de vous un bon et loyal responsable du FRONT NATIONAL ».

Dans les faits, la formation FN se résume à quelques cours pratiques (sur la création d’une section, par exemple) et de formation politique. L'important est qu'elle annonce son objectif principal : le formatage idéologique et l’apprentissage d’une « unité de pensée “frontiste” » :

« Le travail politique, pour bien être effectué, doit être pratiqué par de véritables "professionnels du militantisme bénévole", soucieux de renforcer constamment l’appareil nécessaire à l’implantation et aux progrès du Front national. [...] Les conditions d’une grande force nationaliste tiennent en trois termes : une base de militants organisés, un corps de cadres compétents, une politique définie par des dirigeants permanents. [...] Notre but est de forger un appareil politique puissant et non un club de pensée. La discipline collective et individuelle est garante de nos progrès futurs. Après six ans d’existence, les erreurs et les carences ne peuvent plus être excusées. [...] Dans vos discussions, vos arguments doivent toujours aboutir à ces évidences : Le Front national est le seul Mouvement de l’Opposition Nationale. Il est indépendant des deux blocs politiques qui monopolisent le pays, et les combat. Il est un Mouvement Français et légal et ne fait que l’apologie de son Pays. Il est seul à combattre l’immigration sauvage et à mettre les "Français d’abord". Les nationaux se doivent de le soutenir, car il est pauvre et paria sur les ondes. Il est seul à reconnaître la subversion et à la combattre ».

Une expérience qui ne dure pas

Le parti doit faire face à de multiples difficultés, notamment politiques et financières. Le mauvais résultat des législatives du printemps 1978, rajouté à l'assassinat de François Duprat en mars et à l'émergence du courant solidariste de Jean-Pierre Stirbois, traduisent ce contexte de crise. Le Front national est surendetté. L'effort de formation est stoppé net... peu après sa mise en place.

Jusqu'au milieu des années 80, les militants et cadres frontistes se forment essentiellement par l'intermédiaire de quelques papiers diffusés en interne, faisant offices d'argumentaires. Ils peuvent également assister à quelques stages et recevoir, par correspondance, chaque semaine, des cours hebdomadaires.

Les premiers succès électoraux du FN entraînent de nombreuses adhésions et le développement du FN. Début 1985, 95% des fonctions de l'appareil sont remplies par des bénévoles. La formation des cadres et militants s'inscrit dans l'urgence. Il faut professionnaliser le parti. La nouvelle génération du Front national s'apprête à prendre les choses en main.