Chômage: faut-il réduire le coût du SMIC?

Les économistes David Thesmar et Augustin Landier multiplient ces derniers temps chroniques et éditoriaux pour populariser leur récente note de l'Institut Montaigne consacrée au chômage en France. Leur argument est le suivant : l'essentiel du chômage en France est concentré sur les peu qualifiés. Pour les activités rémunérées au niveau du SMIC, le chômage est élevé, par contre on atteint très vite le quasi-plein emploi pour les salariés qualifiés (voir graphique ci-dessus). La France présente un considérable déficit d'emplois dans des activités comme l'hôtellerie-restauration ou le commerce, gros pourvoyeurs d'emplois pour les peu qualifiés dans les autres pays.

En cause selon les auteurs, le salaire minimum, qui a augmenté très vite au cours des 20 dernières années :

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Alors que le chômage en France atteint des sommets - même quand il baisse, en fait il augmente - et qu'il ne cesse d'augmenter, cette approche - partagée par bon nombre d'économistes du travail en France, mais fortement critiquée par d'autres mérite un examen.

Ce n'est pas nouveau

La première chose que cela inspire, c'est que cela ne nous rajeunit pas. Le coût du travail au niveau du SMIC comme cause du chômage, c'était ce que je lisais sous la plume de Jacques Lesourne quand j'étais étudiant il y a 20 ans; ça a fait partie de ce que j'ai lu et enseigné il y a 10 ans; Le déficit d'emploi en France dans l’hôtellerie-restauration et le commerce, à cause du coût du travail, c'est l'une des premières études qui ont rendu Piketty célèbre, en 1998.

Et si l'on peut reprocher beaucoup de choses aux politiques sur l'emploi, on ne peut pas dire qu'ils ont été sourds à ces arguments. Comme le rappellent Palier, Carbonnier et Zemmour, les premières baisses de cotisations sociales ont commencé à l'époque de la publication du livre de Lesourne, avec Balladur et Juppé. Les 35 heures incluaient de forts allègements de cotisations, qui sont montés en régime jusque 2007 pour représenter environ 20 milliards d'euros par an. En ajoutant d'autres mesures qui réduisent en pratique le coût des embauches au niveau du SMIC (comme les déductions sur l'emploi de personnel à domicile) cela monte à 94 milliards d'euros par an. Tout cela avant la création du CICE qui réduit encore de 20 milliards le coût des cotisations sociales.

Dans le même temps, la France a été l'un des pays d'Europe qui a le plus libéralisé son marché du travail, comme le montre ce graphique extrait de cet article :

Il y a encore plus préoccupant pour cet argument du coût du travail au niveau du SMIC. Si vous mettez en parallèle le graphique d'évolution du SMIC (ci-dessus) avec celui du chômage :

Vous constatez qu'il est bien difficile de lire un parallèle entre hausses du SMIC et du chômage. Au début des années 90, le chômage augmente rapidement alors que le SMIC augmente peu; le chômage diminue considérablement à la fin des années 90, période d'accélération du SMIC; le SMIC stagne depuis 2007 alors que le chômage explose. Ce qui d'ailleurs s'explique assez simplement : les gouvernements hésitent à faire des grands "coups de pouce" au SMIC en période difficile, de peur de voir les entreprises licencier massivement du personnel.

En somme, on a beaucoup baissé le coût, et libéralisé le marché du travail en France. Le résultat est décevant. Comment l'expliquer?

"on n'en a pas fait assez, et cela a été mal fait"

Thesmar et Landier prennent en compte les multiples allègements de charges sociales dans leur note. Leur réponse, c'est que les allègements existants sont insuffisants et mal ciblés. Insuffisants parce qu'ils n'ont pas compensé la hausse du coût du salaire minimum; mal ciblés parce qu'au lieu de se concentrer sur les bas salaires, ils sont saupoudrés sur l'ensemble des salariés, y compris pour les qualifications ou niveaux de salaires qui ne sont pas touchés par le chômage. Ils préconisent donc une concentration des efforts au niveau du SMIC.

Pourquoi pas. Mais cela pose deux problèmes. Premièrement, ce n'est pas un hasard si les allègements de charges sociales sont ainsi disséminés : c'est le prix politique à payer pour faire passer la mesure. Les entreprises industrielles exportatrices ne veulent pas être privées des largesses fiscales, or elles ont un poids significatif dans un pays obsédé par le fétichisme manufacturier.

Mais surtout, cela rappelle que le coût par emploi créé de ces allègements de charges est très élevé; et qu'il a tendance à augmenter (il faut de plus en plus d'allègements pour de moins en moins d'emplois créés). Certaines estimations donnent un coût de l'ordre de 60 000 euros par an pour les finances publiques par emploi créé; à ce niveau-là, on peut se demander si d'autres mesures moins coûteuses ne seraient pas préférables.

C'est que le subventionnement des emplois à bas salaires a des effets pervers. Ceux-ci ne constituent pas un tremplin vers de meilleurs emplois: des études britanniques ont montré que la probabilité d'être au chômage l'année suivante est la même pour les personnes employées à bas salaire que pour les chômeurs. Par ailleurs, si l'on veut inciter les gens à se qualifier pour réduire leur risque de chômage et accroître leurs revenus, subventionner l'emploi à bas salaire n'est pas une très bonne idée - Thesmar et Landier relèvent que la France se distingue des autres pays par le nombre élevé de personnes sans qualification.

"Le problème se situe ailleurs"

La courbe du chômage en France tend (avec parfois un peu de retard) à suivre l'évolution des pays similaires, en particulier, de l'Union Européenne. Une part significative du chômage français s'explique donc par la conjoncture macroéconomique plus que sur des facteurs structurels comme le niveau du SMIC ou la flexibilité du marché du travail.

Un autre facteur s'ajoute : les politiques de l'emploi dans les autres pays ont un impact sur le chômage français. Lorsque les autres pays européens réduisent leur coût du travail, cela accroît l'emploi au détriment des pays qui ne le font pas. C'est ce qui s'est produit au début des années 2000 avec les politiques de l'emploi en Allemagne par exemple. Dans ces conditions, poursuivre la baisse du coût du travail n'est qu'une course sans fin à la compétitivité, dans laquelle chaque pays européen essaie de grappiller à coups de subventions des emplois peu qualifiés au détriment des autres. Ce jeu n'est guère recommandable et intenable à long terme.

Tout cela signifie donc que la question de l'emploi en France est à traiter à l'échelon européen, par des politiques macroéconomiques ou des réformes concertées du marché du travail. Se poser la question, isolément, du coût du travail en France, n'est alors au mieux qu'une diversion.

Le débat français sur l'emploi consiste à ressortir toujours les mêmes idées (coût du travail peu qualifié, réduction du temps de travail)présentées chaque fois comme nouvelles et efficaces. Tout ce que le passé nous enseigne, c'est que quelle que soit la politique de l'emploi choisie, elle coûte cher, pour une efficacité assez limitée.