La banlieue sera au centre du débat politique lors de l'élection présidentielle. On a voulu mettre en perspective la rénovation urbaine, l'emploi et l'éducation avec François Lamy, député de l'Essonne, proche de Martine Aubry et ex-ministre délégué à la Ville. Entretien.
Propos recueillis par Salma Dahir
Dans un des bâtiments de l’Assemblée Nationale, dans le 7e arrondissement de Paris, tout juste arrivé de Lille, François Lamy enchaîne les cigarillos dans son bureau "fumeur", et nous raconte son expérience sur les enjeux clés des quartiers populaires.
Vous avez été ministre de la Ville de mai 2012 à mars 2014. Que peut faire le ministre de la Ville pour lutter contre le chômage qui mine les quartiers populaires, alors qu'il n'a aucun pouvoir de relance économique ?
François Lamy : C’est la question la plus complexe. Il peut à la fois tout faire et ne rien faire. Il est à la fois ministre de l’Emploi, ministre de la Santé et ministre des Quartiers. Pourtant, il n’a aucun pouvoir sur les administrations elles-mêmes. L’interministériel est une bataille de tous les instants, mais c’est la seule et bonne façon pour le ministre de la Ville de faire son travail. Il peut faire beaucoup à partir du moment où il met son poids politique dans la balance et qu’il trouve le moyen de faire bouger ses collègues.
J’en avais trouvé un, lorsqu’en juillet 2012, la Cour des comptes a sorti un rapport sur dix ans de politique de la Ville. J'ai suivi ses recommandations et j’ai signé onze conventions sur plus d’un an et demi avec mes collègues ministres. C'était une pratique contraignante pour faire avancer les choses. Notamment, cela a servi sur la question éducative avec le dispositif "plus de maîtres que de classes" [NDLR : le dispositif affecte, sur la base d’un projet pédagogique, un enseignant supplémentaire dans une école ou un groupe scolaire pour aider les élèves les plus en difficulté à progresser].
Le nœud du travail sur le terrain, c'est les préfets. Il faut que les ministres leur donnent des directives, les bousculent, les informent. Il y a au minimum 90 interlocuteurs, sans compter les préfets délégués pour l’égalité des chances qui suppléent ou aident le préfet dans certains départements, en plus des sous-préfets.
Le ministre de la Ville dispose aussi de moyens propres et surtout de moyens humains. Ainsi, j’avais réussi à négocier la présence de 400 agents de Pôle Emploi – et ils existent – dans les quartiers populaires, non pas dans les agences, mais dans les centres sociaux et au plus proche des habitants qui en ont besoin. Mais ce n’est pas suffisant, car les décrocheurs ne vont pas frapper à la porte des services publics. Il faut qu’il y ait un travail individualisé, ce qui suppose des moyens que n’a pas pour l’instant le ministre de la Ville. De plus, l’organisation qui consiste à mettre le ministre de la Ville avec la Jeunesse et les Sports est incongrue.
Ce n’est pas frustrant pour vous de voir que ce dont on a besoin, c’est une relance économique pour créer de l’emploi, mais qu’avec vos moyens propres qui sont limités, vous ne pouvez pas jouer sur cet élément ?
F.L. : C’est à la fois frustrant et c’est un beau challenge. On a fait avancer les choses. Tous les bénéficiaires d’emplois d’avenir ont remis le pied à l’étrier. Mais le problème, c’est que quand quelqu’un va mieux dans les quartiers populaires, il s’en va et il est remplacé par quelqu’un qui va aussi mal qu’il ne l’était avant, voire, plus mal. Il y a un effet "tonneau des Danaïdes" : à chaque fois qu’on améliore la situation, ça empire parce que ça entre par l’autre côté.
Vous pouvez mettre en place tous les dispositifs que vous voulez, si vous êtes dans des quartiers où toutes les personnes qui s’y trouvent sont en difficulté, vous arriverez à en prendre un, deux et ainsi de suite... Mais ce qui fait qu’on tire tout le monde vers le haut, c’est la mixité sociale. Ce que je regrette, c’est de ne pas avoir réussi à emporter le morceau sur la discrimination positive. Que la gauche accepte le discours qui consiste à dire qu’il faut en faire plus pour ceux qui ont eu moins et à l’assumer politiquement.
Alors quelles sont, selon vous, les politiques qui fonctionnent et qui peuvent favoriser l’égalité des chances dans les quartiers populaires ?
F.L. : La rénovation urbaine marche. Mais si vous voulez aider les gens, il vaut mieux démolir le quartier et reconstruire ailleurs. Ensuite, il faut organiser l’accès à la propriété dans les quartiers et continuer à travailler sur la fabrication du prix du foncier. Il faut aussi mettre des transports, parce que sans mobilité ça ne fonctionne pas. La mixité se fait petit à petit.
Tout est lié. Il faut que l’école brasse. Elle peut être en lisière, pas forcément dans le quartier. Il faut repenser la carte scolaire. Je ne crois pas aux politiques d’en haut. Il faut organiser la carte scolaire en bas, au plus près du terrain avec une coordination du ministère de l'Éducation nationale, des fonctionnaires du ministère de la Ville et les préfets. En mettant des options plus attractives comme l’apprentissage du russe ou du chinois, dans les lycées "pauvres" plutôt que dans les lycées "riches".
C’est une question de dosage. Si on a une école avec 100% des gamins qui sont en difficulté, il faut casser en faisant de la sectorisation scolaire. Au Mirail à Toulouse, il y a deux collèges qui ont été fermés et deux autres collèges ré-ouverts à l’extérieur de ce quartier en difficulté. Je comprends que les parents ne soient pas d’accord, mais la mixité doit s’organiser comme ça. L'école est une clé.
Vous soutenez Benoît Hamon. En se penchant sur son programme, on a trouvé que très peu de mesures susceptibles de répondre aux enjeux liés aux quartiers populaires dont nous venons de parler. Vous qui êtes attaché à ce sujet, est-ce que cela ne vous paraît pas un peu flou ?
F.L. : Il était sur un projet pour la primaire de la gauche, mais là, on va alimenter son programme. Je vais lui faire des propositions très concrètes. Cela part d’une lutte contre les concentrations de pauvreté. À partir de là, il faut planifier une politique d’investissement qui accepte le principe de discrimination positive et une politique de soutien, car il y a une urgence. Ce qui suppose de gros moyens humains dans les quartiers, pour amplifier la politique qui marche.
Par exemple, l’aide et le soutien d’un enfant par un tuteur. Il va l’aider à l’école, mais va aussi être attentif à sa santé, etc. C’est un dispositif global, mais qui ne concerne que l'école primaire. Il faudrait pouvoir le mettre en place au collège, car aujourd’hui, il s’arrête à la primaire. Ce qui fonctionne bien, c’est tout ce qui est individualisé. À Toulouse et à Marseille, il y a eu des expériences très intéressantes sur l’aide au retour à l’emploi des jeunes avec des parrains, en mobilisant le MEDEF et la CGPME. Tout cela est expérimenté mais pas généralisé.
Vous étiez à Bondy, lors du carrefour des gauches, en novembre dernier. On y a fait l'éloge des quartiers populaires. Pourtant, le PS, auquel vous appartenez, a voulu la déchéance de nationalité, n'a pas mis fin au contrôle au faciès, et a parfois des relents islamophobes. Comment jugez-vous et vivez-vous ces contradictions ?
F.L. : On a réglé le problème, il y a quinze jours [NDLR : il fait référence au second tour de la primaire de la gauche]. Vous aviez deux lignes à l’intérieur du PS, dont une ligne qui est sortie du gouvernement assez tôt, avec Benoît Hamon et Arnaud Montebourg. J’en suis aussi sorti, puis quand Manuel Valls m’a demandé d’y retourner, j’ai refusé, car j’étais en désaccord avec ce qui se faisait et ce qui allait se faire.
Il y a eu des conflits internes au gouvernement sur le droit de vote des étrangers et le récépissé des contrôles d’identité. Des conflits aussi sur la circulaire qui interdit les sorties scolaires aux femmes voilées, des batailles sur le dispositif d’intégration. Ce quinquennat avait une ligne politique très influencée par Manuel Valls, mais au PS, à l’heure qu’il est, on a aussi 120 députés qui ont voté contre la déchéance de nationalité. Les deux lignes existent toujours. Mais c’est réglé, car les électeurs de gauche ont tranché.
Vous habitez maintenant dans le nord de la France, où le Parti socialiste a perdu une grande partie du vote populaire, au profit du Front national ou de l'abstention. Vous n'avez pas peur de perdre de la même manière le vote des habitants de banlieues ?
F.L. : On a perdu cette base électorale, car on n’a pas fait ce qu’il fallait faire, et je le regrette. Si on avait été au bout avec le vote des étrangers, cela aurait eu de l’impact. Si on avait mis les moyens dans un plan emploi pour les jeunes dans les quartiers, on aurait eu une reconnaissance.
Cela va aussi dépendre des choix des habitants des quartiers populaires. C’est leur responsabilité. Dans les quartiers, si les gens s’abstiennent en disant "tout ça, c’est pareil", ils auront François Fillon ou Marine Le Pen. Ils verront que ce n’est pas pareil. La politique, ce n’est pas forcément faire le meilleur choix, mais faire le moins mauvais.