Dans un marché français un peu moribond - en 2018, les ventes de livres ont chuté pour la deuxième année consécutive, selon l'institut GfK -, c’est du côté de la bande dessinée (et en particulier des mangas qui enregistrent une croissance de 11%) que les éditeurs tirent leur épingle du jeu. Alors que se tient porte de Versailles le salon Livre Paris du 15 au 18 mars, notre blog Pop Up’ vous propose une sélection de neuf BD, comics et mangas parus récemment, témoins de la richesse et de la diversité du secteur.
Si vous pensez qu’il n’y a pas d’âge pour s’affirmer : "La Ligue des super féministes" de Mirion Malle
Après avoir illustré la menstruation dans Les règles... Quelle aventure (éd. La Ville Brûle) en collaboration avec Elise Thiébaut, la dessinatrice française Mirion Malle continue son entreprise de vulgarisation toujours drôle avec La Ligue des super féministes. Une bande dessinée orientée jeunesse, mais que l’on a envie d’offrir à toutes les personnes de notre entourage qui ne sont pas forcément à l’aise avec les termes "mansplaining", "test de Bechdel" ou avec la notion de consentement (oui, plein de noms vous sont immédiatement venus à l’esprit et ce n’était pas forcément des enfants). Bref, un ouvrage pédago rigolo, aussi intelligent qu'indispensable.
La Ligue des super féministes de Mirion Malle, éd. La Ville Brûle, 64 p., 16 euros.
Si vous êtes un antimilitariste convaincu : "La Traversée" de Clément Paurd
Il aura fallu dix ans à Clément Paurd pour achever La Traversée, récit du voyage de deux soldats, Firmin, un fantassin, et son capitaine, qui errent à la recherche de leur régiment. Dans leur drôle de quête, ils se retrouvent confrontés aux conséquences de cette guerre qu'ils livrent comme l'exil des populations, la famine ou encore un charnier. Réalisé sans aucune case et en deux dimensions, La Traversée est un petit bijou graphique qui rend autant hommage au temps qui passe qu'à l'attente absurde que l'on retrouve dans des œuvres littéraires comme En attendant Godot de Samuel Beckett ou Le Désert des Tartares de Dino Buzzati. Certainement le plus doux des pamphlets sur la guerre.
La Traversée de Clément Paurd, éd. 2024, 256 p., 26 euros.
Si vous aimez la puissance des récits autobiographiques : "Adieu, mon utérus" de Yuki Okada
A 33 ans, Yuki Okada apprend qu’elle est atteinte d’un cancer de l’utérus. Pour cette jeune mangaka, mariée et mère d’une petite fille, c’est le choc. Entre l’annonce de la terrible nouvelle et celle de sa rémission, elle nous raconte un quotidien rempli de doutes, de peurs, de questions. Comment expliquer à son enfant qu’on ne peut plus lui donner le sein en raison des traitements ? Comment surmonter la douleur d’une si violente ablation ? A quoi correspondent les stades de la maladie ? A travers son expérience très personnelle, Yuki Okada dessine un manga universel qui parle de notre rapport à la maladie. Un récit utile et profondément humain qui résonnera chez chaque lecteurs. Notez que 5% des recettes générées par les ventes de ce manga seront reversées à l’association Rose Up qui accompagne, informe et défend des droits des femmes touchées par le cancer.
Adieu, mon utérus de Yuki Okada, éd. Akata, 192 p., environ 8 euros.
Si vous avez décidé que vous avez passé l’âge des super-héros : "Umbrella Academy" de Gerard Way et Gabriel Ba
Quand on vous dit "comics", vous pensez super-héros aux muscles saillants et en slip moulant ? Il serait temps d’atterrir pour de bon en 2019. La preuve avec Umbrella Academy que Netflix a adapté récemment en série télévisée, sortant ainsi d’un oubli relatif une série d'albums de bande dessinée ambitieuse, sortie il y a une dizaine d’années et qui vient d’être rééditée dans l’Hexagone. A partir d’un pitch assez classique - sept orphelins aux pouvoirs extraordinaires rassemblés dans un grand manoir par un mentor richissime et vieillissant - qui fait fortement penser aux X-Men, les auteurs développent une variation originale. Car la bande de cette Umbrella Academy un peu particulière est du genre dysfonctionnelle, avec un patriarche distant et des querelles chez les aspirants super-héros, dont certains finiront même du côté obscur. Une série d’épisodes foisonnants, un peu foutraques, où même la Tour Eiffel part en torche, et qui va bientôt connaître une suite.
Umbrella Academy de Gerard Way (scénario) et Gabriel ba (dessin), série en deux tomes parus aux éd. Delcourt, environ 220 p. et 18 euros le tome.
Si vous trouvez que Fortnite, c’est vraiment pour les enfants : "Battle Royale" de Koushun Takami et Masayuki Taguchi
Si le mode "Battle Royale" est à la mode dans le jeu vidéo (on affronte au cours d’une partie un nombre déterminé de joueurs et il faut tous les vaincre pour terminer vainqueur), on n’oublie parfois que le terme fait historiquement référence à un roman éponyme de Koushun Takami paru au Japon en 1999 et immédiatement adapté en manga (avant de devenir un film). C’est ce manga que les éditions Soleil rééditent dans une version "ultimate" sous la forme de huit épais tomes.
Dessiné par Masayuki Taguchi, Battle Royale raconte l’histoire d’un jeu de massacre mis au point par la république d’Extrême Orient, une sorte de Japon totalitaire et dystopique. A sa tête, un gouvernement qui choisit, arbitrairement et pour une raison inconnue, une classe de 3e et place tous ses élèves dans un endroit clos. L'objectif : qu'ils s'entretuent jusqu’à ce qu’il ne reste qu’un seul survivant. Et quand vient le tour des 42 élèves de la classe de 3eB du collège Shiroiwa, chacun met en place une stratégie différente pour rester en vie et défier les règles édictées par l gouvernement. Un manga ultra gore, porté par des dessins aux traits très détaillés, qui possède une forte dimension politique, à des années lumières des jeux vidéo ludiques comme Fortnite.
Battle Royale - ultimate edition de Koushun Takami et Masayuki Taguchi, éd. Soleil Manga, environ 400 p. et 15 euros le tome. Quatre tomes sont pour l’instant disponibles. Le tome 5 paraîtra le 17 avril.
Si vous aimez le cinéma hongkongais : "The Golden Path" de Baptiste Pagani
The Golden Path, c’est la biographie fictive de Jin Ha, une jeune Chinoise qui a passé sa jeunesse à étudier le kung-fu dans le seul objectif de devenir cascadeuse. A l’issue de sa formation, elle débarque à Hong Kong, bien décidée à se faire une place parmi ses idoles qui tiennent l'affiche à l’époque. Mais la jeune fille de 21 ans va vite déchanter. Si elle se retrouve vite engagée par un studio, la réalité du métier est bien loin de ce qu’elle imaginait. Une passionnante plongée dans le cinéma de genre, ultra populaire dans les années 90, où l'on découvre sans surprise mais avec effroi comment on y traitait les femmes, aussi talentueuses soient-elles. Les fans de Jackie Chan se régaleront des nombreux clins d’œil faits à ses films et des magnifiques affiches inspirées des films d’époque.
The Golden Path, ma vie de cascadeuse de Baptiste Pagani, Label 619 aux éd. Ankama, 192 p., environ 20 euros.
Si votre péché mignon, c’est la bagââââârre : "The Old Guard" de Greg Rucka et Leandro Fernandez
Ils s’appellent Andy, Nicky, Joe, Booker et Nile. Leur métier, c’est faire la guerre. Et sur le marché des mercenaires, ce sont les meilleurs. Forcément, leur expérience est incomparable. Prenez Andy. Son vrai nom, c’est Andromaque de Scythie. Elle a commencé à couper des têtes et désosser des ennemis pendant l’Antiquité grecque. Une bonne vingtaine de siècles plus tard, elle est toujours là, à la tête d’un petit groupe de soldats immortels qui ignorent l’origine de leur pouvoir. Ce n’est pas faute d’avoir essayé de se suicider, mais rien n’y fait. Jusqu’au jour où leur existence arrive aux oreilles d’un milliardaire, simple mortel, mais qui entend échapper à sa condition humaine. De chasseurs, les mercenaires de la vieille garde vont devenir proies.
Avec cette nouvelle série, Greg Rucka, scénaristique prolifique à qui on doit le remarquable Gotham Central (entre autres), démarre sur une base convenue pour complexifier son récit avec des bonnes idées que le lecteur ne sent pas venir à dix kilomètres. Et comme le dessin de Leandro Fernandez tranche agréablement avec l’ordinaire de la BD américaine, on aurait bien tort de bouder son plaisir.
The Old Guard, tome 1 : A feu et à sang de Greg Rucka et Leandro Fernandez, éd. Glénat Comics, 176 p., environ 17 euros.
Si vous êtes nostalgique de vos amours adolescentes : "Dans un rayon de soleil" de Tillie Walden
A seulement 22 ans et déjà auréolée d’un Eisner Award pour Spinning, sa remarquable autobiographie parue en France en 2017, Tillie Walden est la figure montante de la bande dessinée américaine. Avec Dans un rayon de soleil, elle nous entraîne dans une étrange odyssée intergalactique qui se mue progressivement en une quête amoureuse. Sa spécificité : dans le monde de Tillie Walden n’existent que des femmes. On y parle d’amoureuses, de mères, de sœurs, de tantes… mais il n'y a pas l’ombre d’un homme dans ce vaste univers. Un récit aussi politique que poétique qui revisite avec beaucoup d'originalité les aventures spatiales et les drames adolescents.
Dans un rayon de soleil de Tillie Walden, éd. Gallimard bande dessinée, 544 p., 29 euros.
Si vous avez grandi trop vite : "Solanin" d’Inio Asano
Inio Asano est un mangaka à part. Surtout pour ses fans français qui lui vouent un véritable culte. Porte-parole d’une jeunesse désillusionnée, doté d’un coup de crayon somptueux, Asano séduit ou agace. Si Bonne nuit Punpun est souvent l'œuvre que l’on cite en exemple, Solanin, réalisée juste avant, est sûrement la plus accessible. La parution d’une très belle intégrale aux éditions Kana est donc l’occasion parfaite pour découvrir cet auteur singulier. L’histoire de Meiko et Taneda, un jeune couple qui apprend en grandissant à faire des concessions avec ses rêves de vie. Une histoire bouleversante et une jolie porte d’entrée dans le manga si ce genre vous est peu familier.
Solanin - intégrale d’Inio Asano, coll. Made In aux éd. Kana, 468 p., environ 20 euros.