Quarante ans que les libraires n'avaient plus entendu : "vous l'avez, le nouveau Tintin ?" Tintin au pays des Soviets est (re-re-re-re) sorti mercredi 11 janvier, avec un tirage conséquent de 300 000 exemplaires. Est-ce que ça vaut le coup, même si vous avez la version noir et blanc ? Eléments de réponse.
Un plaisir de lecture retrouvé
Cet album était la première histoire au long cours d'Hergé, qui n'avait jamais pris de cours de dessin, et ça se sent. Le scénario demeure une accumulation de gags – certains bien trouvés – dénonçant le régime soviétique avec cinquante ans d'avance sur Soljenitsyne. Mais la colorisation permet de prendre plus de plaisir de lecture et gagner en fluidité. L'œil ne bute pas sur les perspectives parfois maladroites du débutant. Les décors, qui bien souvent se résumaient à une ligne symbolisant les steppes russes, gagnent en profondeur. Les textes, calligraphiés de façon inégale, ressortent mieux. En fin d'album (dont l'histoire va crescendo), les courses-poursuites dans la nuit et dans la neige (aaaah la case où Tintin se retrouve face à un ours !) sont sublimées par l'arrivée de la couleur.
Une aventure qui n'est toujours pas destinée aux enfants
Autre argument marketing de Casterman : permettre aux enfants d'apprécier l'album. Là-dessus, des doutes sont permis. Qui n'a pas une connaissance de base des crimes de l'URSS et de la géographie de l'époque risque de passer à côté d'une grande partie de l'histoire. Le choix d'une gamme chromatique plus terne que lors des albums colorisés du vivant d'Hergé indique bien qu'il s'agit d'un album vintage, destiné à un public adulte. On pense aux documentaires colorisés sur l'époque, façon Apocalypse (c'est d'ailleurs en visionnant ce documentaire que le patron des Studios Hergé a décidé de coloriser l'album). Ce n'est sans doute pas un hasard.
Seule concession au côté jeunesse de l'album (à l'époque), le choix d'affubler le plus méchant des Soviétiques d'un nez rouge. On se demande ce qu'Hergé aurait fait de ce visage patibulaire dans une version remaniée et colorisée au sortir de la seconde guerre mondiale, comme pour Tintin au Congo ou Tintin en Amérique. Il y a donc encore de fortes chances que Tintin au pays des Soviets soit l'album que les enfants qui découvrent Tintin lisent en dernier.
Tous les visuels illustrant l'article sont © HERGE-MOULINSART 2017