La BD de la semaine : "Notre part des ténèbres", une relecture façon thriller de la lutte des classes

Attention, BD coup de poing. Une histoire de bateau, d'explosifs, d'actionnaires repus et de salariés qui crèvent la faim. Une métaphore (pas si éloignée, voyez les récents mouvements sociaux du samedi) de notre société. Une lecture dont vous ne ressortirez pas indemne.

Ça parle de quoi ?

Le 31 décembre, début de soirée. Le champagne (à cinquante euros la coupe) et le caviar circulent parmi les invités costumés du Nausicaa, un paquebot de luxe, affrété par une multinationale qui a, comme chaque année, gâté ses actionnaires, mais beaucoup moins ses salariés. Personne, parmi la brochette de personnalités présentes, n'a une pensée pour les salariés de feu Mondial Laser, jadis une société de pointe, aujourd'hui un nom qui dans les titres des articles rime avec "plan social" ou "suicide". Même pas le ministre de l'Economie, trop occupé à se goberger de petits fours dans ses oripeaux de carnaval.

Quand le capitaine, ou plutôt celui qui l'a remplacé prend la parole, c'est pour annoncer que le navire qui devait sagement longer les côtes pour assister à un feu d'artifice a été détourné. Et qu'un autre genre de feu d'artifice menace les participants de la soirée : 60 kg d'explosifs sont placés sous la ligne de flottaison, histoire de dissuader les autorités de tenter une opération type GIGN. Les revendications des anciens salariés qui ont remplacé le personnel ? Floues. Mais ces gens-là sont déterminés : ils n'ont plus rien à perdre.

Pourquoi on adore

De façon bien moins austère que Karl Marx, Gérard Mordillat - qui adapte son propre roman - et Éric Liberge proposent une lecture façon thriller de la lutte des classes. Sans filtre et sans ménagement pour le lecteur - feuilletez les premières pages, vous verrez une journaliste en tenue d'Eve, un lieutenant du PDG de la World Company en tenue d'Adam, et beaucoup de caviar détourné de son usage habituel - les auteurs poussent le curseur à fond sur un schéma narratif de plus en plus courant aux actualités, celui de salariés désespérés qui enlèvent leur patron ou sabotent leur outil de travail pour avoir une chance d'avoir un sujet au JT de 20 heures. Le tout magnifié par le splendide dessin d'un Éric Liberge au sommet de son art. C'est noir, c'est très grinçant, mais ça fait mouche.

C'est pour vous si..

... Vous avez laissé tomber la lecture de Marx au bout de quelques pages. Si vous mettez du noir quand vous sortez de chez vous. Si vous avez peur de l'eau et/ou des voyages organisés par votre CE. Si vous vous sentez la fibre sociale.

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Notre part des ténèbres par Éric Liberge et Gérard Mordillat, éd. Les Arènes, 96 p., 20 euros environ. Des mêmes auteurs (plus Jérôme Prieur), jetez un œil au Suaire, une trilogie d'albums qui revisite de manière originale le mythe du linceul ayant enveloppé le corps du Christ.