Pour L’Odyssée d’Hakim, son nouvel album, Fabien Toulmé s’est glissé dans la peau d’un journaliste pour retranscrire en bandes dessinées le récit de la vie d’Hakim, un jeune Syrien contraint, comme des milliers de ses concitoyens, de quitter son pays en raison de la guerre civile qui le ravage.
Ça parle de quoi ?
Hakim a 25 ans en 2011 quand soudain, galvanisés par le Printemps arabe, quelques Syriens osent l’impensable : sortir dans la rue pour défier le régime de Bachar Al-Assad. Mais la contestation est vite violemment réprimée, sans que le président syrien ne parvienne toutefois à l’étouffer. Comme des milliers de ses concitoyens, Hakim est accusé de complicité avec les opposants et se retrouve emprisonné et torturé. Lorsqu'il est enfin relâché, il découvre que sa pépinière a été réquisitionnée par l'armée et transformée en caserne. Sans emploi dans une ville qui commence à subir les premiers bombardements, il décide de quitter sa famille et son pays pour tenter sa chance à Beyrouth (Liban).
Pourquoi on adore
C’est en analysant le traitement médiatique du crash d’un avion de la Germanwings en mars 2015 et de l’empathie que suscitait chez lui ce drame que Fabien Toulmé a eu une révélation. Au même moment, il réalise qu'une autre catastrophe qui se déroule sous les yeux du monde entier n'arrive pas à l'émouvoir autant : la mort de migrants en Méditerranée. Selon lui, cela s'explique en partie parce qu’il "est beaucoup plus difficile de ressentir de la compassion pour des chiffres cités en fin de journal que pour des personnes dont nous connaissons l’histoire" ou à qui l’on s'identifie. Pour y remédier, il décide d’aller à la rencontre de ces migrants, "pas tous, bien sûr", et choisit de donner la parole à une famille d’émigrés syriens.
A partir d'octobre 2016, il rend régulièrement visite à Hakim, un jeune Syrien de 30 ans qui vit avec sa femme Najmeh et son fils Hadi à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône). Lors de leurs entretiens, Hakim lui raconte son histoire, depuis son enfance heureuse en Syrie, dans un pays rongé par la corruption en passant par les débuts de la guerre civile, son séjour en prison, l'angoisse d'être emprisonné à nouveau, puis son exil. Là, normalement, vous vous demandez si vous avez vraiment envie de lire une BD qui relate le parcours d'un énième migrant syrien. Et pourtant, L’Odyssée d’Hakim est le support parfait pour vous sensibiliser à nouveau avec ce drame migratoire dont on nous parle souvent en chiffres, en oubliant que derrière ceux-ci se trouvent des hommes, des femmes et des enfants en très grande précarité.
Comme à son habitude, Fabien Toulmé place l’humain et l’intime au cœur de son récit. L’auteur du très émouvant Ce n’est pas toi que j’attendais dans lequel il racontait sans fausse pudeur et avec une sincérité réconfortante sa difficulté à accepter d’être le papa d’une petite fille trisomique, et plus récemment, Les Deux vies de Baudouin, un album moins autobiographique mais tout aussi touchant, s’essaie donc, pour son troisième album, au journalisme. Didactique et précis, l’histoire que nous raconte Hakim personnifie ce conflit et raconte la prison, l’exil, la difficulté de trouver du travail, l'angoisse du futur et la tristesse de grandir loin de sa famille restée au pays. En quelques cases, on comprend comment le pays a basculé et à quelle point la vie est devenue compliquée pour tous ces civils syriens. Et on se surprend à se passionner pour le destin de ce jeune homme qui incarne l'angoisse et la douleur de tout un peuple.
C’est pour vous si...
A la lecture des premières pages de L’Odyssée d’Hakim consacrées à l’enfance du jeune homme en Syrie, impossible de ne pas penser à L’Arabe du futur. Même dessin naïf et rond, même point de vue d’un enfant. On aurait tort de faire un amalgame, mais ces deux séries racontent les errances d’un jeune garçon au Moyen-Orient et si vous aimez le best-seller de Riad Sattouf, on ne peut que vous conseiller de vous procurer ce premier tome de L'Odyssée d'Hakim. Fabien Toulmé a prévu de raconter les pérégrinations d’Hakim en trois tomes. Les deux prochains nous feront traverser la Turquie, la Grèce puis l’Europe de l’Est et enfin la France. Un trajet que des milliers de Syriens continuent d'emprunter chaque jour pour fuit la misère. Et pour prolonger l'expérience, vous pouvez télécharger sur votre smartphone Enterre-moi, mon amour, un jeu vidéo interactif qui vous place dans la peau d'un Syrien qui échange chaque jour avec son épouse qui a fui le pays, via une messagerie instantanée.
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L’Odyssée d’Hakim, tome 1 : de la Syrie à la Turquie par Fabien Toulmé, coll. Encrages aux éd. Delcourt, 304 p., environ 25 euros.