"Mes parents avaient peur que je sois un bon à rien" : entretien avec Tatsuki Fujimoto, l'auteur de l'étonnant manga "Fire Punch"

Peut-on conserver une part d’humanité dans un monde qui en est désormais dépourvu ? C’est la question que pose en substance Fire Punch (ファイアパンチ Faiapanchi en VO), l’un des titres coup de poing qu'éditent depuis un an les éditions Kazé. Six tomes plus tard (sur les huit que compte la série), Tatsuki Fujimoto ne livre toujours pas de réponse mais continue de malmener son lecteur. Inceste, cannibalisme, zoophilie, etc., l’auteur de Fire Punch dépeint un monde post-apocalyptique à faire passer celui du comic book The Walking Dead pour le royaume des Bisounours.

Mais qui se cache derrière ce seinen (manga destiné à de jeunes adultes de sexe masculin) dérangeant dans lequel le héros se balade en flamme tout au long de la série ? De passage à Tokyo en avril dernier, Pop Up’ a pu poser quelques questions au jeune mangaka et à son éditeur. Première surprise, en interview, Tatsuki Fujimoto n’est pas l’auteur bien barré qu’on peut imaginer à la lecture de Fire Punch, mais un jeune homme très timide qui se cache derrière d’épaisses montures en plastique noir. Pieds nus dans ses Crocs, il a gentiment répondu à nos questions.

Présentez-vous rapidement aux lecteurs français qui vous ont découvert avec Fire Punch ?

Tatsuki Fujimoto : J’ai 25 ans et je suis né dans la préfecture d’Akita dans le nord du Japon. C'est un endroit où il neige beaucoup l’hiver et c’est peut-être pour cela qu’il y a beaucoup de neige dans Fire Punch. A 17 ans, j'ai atteint la finale d'un des concours de manga qu’organise tous les mois Jump SQ [le magazine de prépublication mensuel de shonen de l'éditeur Shueisha]. C’était la première fois de ma vie que j’étais récompensé en tant que mangaka. Quant à mon premier one-shot, il a été publié sur le Shonen Jump+ [le magazine online de mangas de Shueisha] lorsque j’avais 19 ans.

Quels sont les trois mots qui définissent le mieux Tatsuki Fujimoto ?

Shihei Rin, son éditeur : C’est très difficile comme question, mais je dirais tout d’abord que c’est quelqu’un d’innocent, de pur. Et sinon, il est toujours à fond ! Enfin, c’est quelqu’un qui accepte très facilement les changements. Et il n‘a jamais raté une deadline pour la remise de ses planches !

C’était un rêve d’enfant de devenir mangaka ?

T.F. Pas forcément, j’avais juste envie d’avoir un métier créatif. Quand j’étais plus jeune, mes parents avaient peur que je devienne un hikikomori (ces jeunes Japonais qui décident de s’enfermer dans leur chambre et n’en sortent plus) ou que je ne sois qu’un bon à rien. J’ai vécu seul très jeune grâce à une bourse et à l’aide financière de mes parents. Donc, quand j’ai commencé à avoir des contacts avec la Shueisha (le plus gros éditeur japonais de mangas), ça n’a pas posé de problème à mes parents que je me lance dans ce métier.

Quel est votre premier souvenir de manga ?

T.F. Lorsque j’étais à l’école primaire, je vivais à la campagne où il n’y avait pas beaucoup de libraires. C’est dans la papeterie locale que j’ai découvert mes premiers mangas et je lisais absolument tout ce qui me tombait sous la main. Ce n’est que plus tard, chez un ami, que j’ai découvert des titres plus adultes dans lesquels il y avait beaucoup d’ironie. D’ailleurs, malgré mon jeune âge, je comprenais parfaitement cette figure de style.

C’est parce que vous avez grandi en ayant un accès limité aux mangas que vous avez créé votre propre magazine de prépublication lorsque vous étiez adolescent ?

T.F. En fait, je ne l’ai pas vraiment créé. C’est assez difficile à expliquer mais, en gros, je le créais dans ma tête. J’avais en permanence plein de scénario auxquels je pensais avant de m’endormir et c’est à force d’imaginer plein d’histoires qu’est né Fire PunchEn plus, j’aimais particulièrement un animé pour enfants dont lequel le héros se sacrifie pour aider les autres. C’est une notion que j’aime beaucoup et que j’ai reprise pour imaginer Agni, le héros de ma série.

A qui avez-vous montré les premières planches de Fire Punch ?

T.F. A mon éditeur, et il a adoré !

Fire Punch a été prépublié online, dans le Shonen Jump+. Parce que le manga était trop violent pour une prépublication dans un magazine papier ?

S.R. Après en avoir discuté avec le directeur éditorial du Jump SQ, on a convenu qu’il était impossible de prépublier Fire Punch dans le magazine en raison de la violence de son contenu. On a finalement décidé de le publier en ligne, après de petites modifications acceptées par l’auteur (sur la forme, comme par exemple la façon dont s'enchaînent les dialogues, mais jamais sur le fond). Et si la violence avait vraiment été un frein à sa publication, Tatsuki Fujimoto aurait préféré abandonner son histoire et commencer une autre série plutôt que dénaturer celle-là.

Aviez-vous des appréhensions sur la manière dont serait accueilli Fire Punch ?

S.R. En fait, il existe déjà des mangas dont l'histoire met en scène un héros en feu. Il en existe également avec des héros qui se régénèrent continuellement. Mais cette combinaison des deux est quelque chose de vraiment rare. Donc, vu l'originalité de l'histoire qui était proposée, je n'étais pas inquiet car je savais que le lecteur ressentirai la même chose que moi. Déjà, c'est une histoire avec un impact très puissant. Et c’est également très divertissant. Et si vous parlez du cannibalisme, par exemple, je pense qu'aujourd’hui c'est une thématique qui ne choque plus, surtout si on l'amène de manière intelligente.

Quel a été l’accueil de Fire Punch au Japon ?

T.F. La série n’a pas été un gros succès et, évidemment, j’aurais aimé qu’elle se vende plus. Mais, c’est ma première série et je suis déjà content qu’elle ait été publiée. En fait, je suis surtout ravi d’avoir pu la terminer.

Fire Punch est maintenant terminé au Japon. Son succès a-t-il changé quelque chose pour vous ?

T.F. Oui, ma vie est devenue plus riche, plus abondante. Et c’est également plus facile financièrement parlant. Au début de la série, j’étais obligé de demander de l’argent à mon éditeur pour payer les assistants qui venaient m'épauler sur les planches, trois jours par semaine.

Est-ce que vos parents sont fiers de vous désormais ?

T.F. Aujourd’hui, je suis indépendant financièrement et je crois que mes parents sont enfin fiers de moi. D'ailleurs, nous sommes toujours en contact.

Fire Punch traite beaucoup de la souffrance, physique ou psychologique. Est-ce une manière d’exprimer vos penchants masochistes ?

T.F. Peut-être. J’ai aimé décrire la souffrance qu’endure Agni en étant en permanence consumé par les flammes. C’est certainement un de mes penchants mais il est totalement inconscient. Après, je ne suis pas du tout quelqu'un de pessimiste, bien au contraire. Je suis très bien dans le monde dans lequel je vis et je pense que le futur de l’humanité sera tout aussi radieux. Cette vision sombre que je décris dans Fire Punch n’est pas du tout la façon dont je vois le monde actuellement.

Êtes-vous déjà au travail sur une nouvelle série ?

Je réfléchis mais je change souvent d’avis ! C’est toujours à l’état de projet donc je préfère ne pas en parler mais ça surement plus positif que Fire Punch. Le plus important pour moi maintenant, c’est d’être à nouveau publié par mon éditeur.

 

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Fire Punch, tomes 1 à 6 de Tatsuki Fujimoto, éd. Kazé, environ 220 p. et 8 euros le tome. Le tome 7 paraîtra le 7 septembre et le huitième et dernier de la série le 28 novembre.

Tous les visuels de l'article sont crédités Fire Punch © 2016 by Tatsuki Fujimoto / SHUEISHA Inc.