Adapté du roman de l'Américain Ron Rash, Serena nous plonge dans l'Amérique de la Grande Dépression. Adapté avec une grande maitrise par la Française Anne-Caroline Pandolfo et le Danois Terkel Risbjerg, ce thriller violent recèle un portrait de femme redoutable. Glaçant.
Ça parle de quoi ?
Etats-Unis, vers 1930. Après un voyage d’affaires de quelques mois à Boston (Massachusetts), George Pemberton est de retour dans son fief de Waynesville où il possède une exploitation forestière. Mais dès sa descente du train, le jeune homme est éclipsé par Serena, la femme qu'il vient d'épouser et qui va prendre immédiatement les rênes de l'entreprise. D’une beauté à couper le souffle, mais dotée, sous sa frange rousse impeccable, d’un regard d’une affolante dureté, Serena Pemberton va mettre au pas cette petite ville de Caroline du Nord durement touchée par la récente crise financière. Véritable monstre de cruauté, elle va œuvrer pour faire fructifier l’entreprise familiale, quelqu'en soit le prix.
Pourquoi on adore
"Antihéros : personnage d'une œuvre littéraire aux caractéristiques contraires à celles du héros traditionnel" nous apprend le Larousse. Une définition qui colle tant à Serena, cette femme imaginée par l’écrivain américain Ron Rash, que l’on pourrait penser qu’elle a été inventée pour elle. D’abord héroïne d’un roman sauvage et âpre paru il y a maintenant dix ans, puis d’un film emmené par le couple (peu inspiré) Jennifer Lawrence et Bradley Cooper, Serena renait une nouvelle fois en bande dessinée sous l’impulsion d'Anne-Caroline Pandolfo (au scénario) et de Terkel Risbjerg (au dessin). Une histoire sombre et violente que le duo d’artistes franco-danois, déjà auteur de quatre albums aux éditions Sarbacane et du remarqué Perceval aux éditions du Lombard, transforme en un des plus beaux albums de l’année.
Serena, c’est d’abord le portrait d’une Amérique exsangue qui rentre à peine dans ce que l’on a appelé plus tard, la Grande Dépression. Waynesville cristallise tout ce à quoi le pays est alors confronté. Un chômage qui explose et un fossé qui se creuse plus que jamais entre les classes sociales dominantes et les autres, toujours plus pauvres. Car si l’esclavage est officiellement aboli aux Etats-Unis depuis plus de 60 ans, George Pemberton et son épouse traitent leur personnel comme des cafards. Coups, humiliations, assassinats, rien ni personne ne peut arrêter la folie destructrice du couple décidé à exploiter tous les arbres de la région, en dépit de la volonté gouvernementale de transformer les belles forêts des Appalaches en parc national.
Serena est la personnification d’une Amérique dont les actes ont conduit au krach boursier de 1929 et la crise économique qui a suivi. Un cynisme, doublé d’une audace sans pareil, amèneront la jeune femme, lorsqu’elle apprend qu’elle est stérile, à rejeter toute sa haine envers l’enfant illégitime de son mari. Ambition ? Revanche ? Jalousie ? On ne saura jamais ce qui pousse Serena à se comporter de la sorte. Mais ce n’est pas le plus important. On retiendra en revanche le rythme insufflé à ce thriller poisseux qui transforme Serena en un véritable page-turner dans lequel les cadavres s’amoncellent au gré des pages par la volonté de son héroïne.
C’est pour vous si…
Vous pensez que la blonde platine Jennifer Lawrence n'a jamais réussi à s'emparer de la froideur de Serena, et si, le season finale de la série Dexter - où l’on découvrait son antihéros éponyme planqué parmi des bucherons - ne vous a pas convaincu. Ou simplement si vous cherchez à lire une excellente bande dessinée.
Serena d’Anne-Caroline Pandolfo (scénario) et Terkel Risbjerg (dessin), éd. Sarbacane, 216 p., environ 23 euros.