Même réalisateur joue encore. Deux mois à peine après Pentagon Papers, Steven Spielberg dégaine Ready Player One, mercredi 28 mars au cinéma. Avec cette adaptation du roman d’Ernest Cline, Player One, il renoue avec le blockbuster et la science-fiction, un genre que le réalisateur n’avait pas embrassé depuis La Guerre des mondes, en 2005. Dans le livre et dans sa version hollywoodienne, James Halliday a créé un jeu en réalité virtuelle révolutionnaire, l’OASIS, dans lequel l’humanité se réfugie pour échapper à un futur aussi réel que peu souhaitable. A sa mort, le mogul du jeu vidéo lance une chasse au trésor pour hériter de sa fortune, ce qui précipite Wade Watts, alias Parzival, dans une aventure érudite à travers la pop culture des années 1980. Ce nouveau film très attendu par les fans tient-il toutes ses promesses ?
+Une mise en scène bluffante
Super-productif, Steven Spielberg a décidé d’utiliser les longs mois dédiés à la post-production de Ready Player One pour réaliser, en l’espace de quelques semaines, Pentagon Papers. C’est vrai qu’une grosse partie du film se déroule dans l’OASIS et a été tourné en motion capture (comme Tintin). Il a donc fallu beaucoup d’effets spéciaux pour finaliser ces séquences d’action dans un monde décrit comme “un lieu magique où tout est possible”. Le film s’ouvre d’ailleurs sur une course de voitures totalement insensée où le héros conduit une Delorean, tirée de Retour vers le futur, féraille avec Art3mis (qui elle conduit la moto d’Akira) et s’écharpe avec King-Kong au cœur d’un New York en pleine métamorphose. La scène aurait pu être brouillonne mais en bon génie qu’il est, Spielberg réussit à la rendre claire et à accrocher le spectateur à son siège comme s’il était Parzival. Idem pour la grande bataille finale. On est loin de la chienlit visuelle d’un Transformers.
+Des références, mais nulle nostalgie
Retour vers le futur, Chucky, Freddy Krueger, Gundam, Pacman… L’univers imaginé par James Halliday regorge de clins d’oeil à la culture populaire que le créateur de l’OASIS adorait. Et même si le film se passe en 2045, tous les personnages se passionnent pour les années 1980 et 1990, “presque forcés de [les] aimer pour comprendre l’esprit de Halliday”, écrit Cinemateaser, car ces décennies recèlent le secret pour remporter la chasse au trésor.
>> Comment Spielberg a-t-il pu réunir autant de références dans un seul film ?
Une débauche de références qui fait de Ready Player One un film nostalgique et passéiste à l’image de productions récentes comme Stranger Things ? Pas du tout. A l’image du jeu popcorntv, le spectateur se plaît à repérer dans le champ des personnages qu’il connaît. Le fan service est total mais ce petit côté namedropping n’est que secondaire et accessoire tant l’enjeu du film – empêcher la multinationale IOI de prendre le contrôle de l’OASIS pour le pervertir – se trouve bien dans l’histoire originale imaginée par Ernest Cline. De ce point de vue, Ready Player One est résolument tourné vers l’avenir.
+Une réflexion sur la culture et l’héritage
En adaptant un livre qui parle d’un jeu vidéo sur grand écran, Steven Spielberg crée des ponts assez vertigineux entre les arts. “Je me suis rapidement plongé dans la réalité créée par les mots qui s’affichaient à l’écran”, décrit Wade Watts dans Player One, le livre d’Ernest Cline, en parlant du jeu Zork. Une description meta de la littérature, qui anime l’imaginaire à partir des lettres. Là, le cinéaste transcrit au cinéma un livre qui immerge le spectateur dans un jeu vidéo, bourré de références cinématographiques et musicales. Un geste artistique total, en soi. Steven Spielberg en profite aussi pour signer une sorte d’autoportrait touchant à travers James Halliday, créateur tout-puissant incarné par Mark Rylance. “Halliday, c’est le Spielberg d’aujourd’hui confronté à son héritage et à ses responsabilités, un démiurge qui a façonné l’imaginaire de la planète et qui doit rendre des comptes”, pointe Première. En guise de morale, le cinéaste réaffirme le rôle social de la culture, vecteur éternel de liens entre humains.
-Un discours politique sous-développé
Tout Spielberg qu’il soit, le réalisateur d’E.T. et Jurassic Park (entre autres) n’est pas les Wachowski et le discours politique se concentre davantage sur le totalitarisme d’IOI et de son patron Nolan Sorrento (Ben Mendelsohn) que sur la logique économique qui régit cette multinationale aux mauvaises intentions. Une réplique à peine résume le plan du businessman, qui souhaite saturer le champ de vision des utilisateurs de publicité tout en évitant d’éventuelles crises d'épilepsie. “Le plan de Sorrento est de monétiser ce monde et de le corrompre. Tout l'enjeu du film pour les personnages est de conserver cette liberté”, confirme le réalisateur, interrogé par Le Point.
De même, Art3mis dit vaguement vouloir remporter le legs de Halliday pour “rendre le monde meilleur” et redistribuer les richesses qu’elle aurait acquises. C’est bien la seule puisque Parzival tente de s’échapper de sa classe sociale et lutte surtout pour sauvegarder l’esprit de son jeu vidéo préféré. Un jeu dans lequel tout le monde s’évertue à échapper à la réalité, sans que Spielberg ne questionne réellement l’aliénation et la misère affective provoquées par cette réalité virtuelle addictive.
-Des personnages pas assez attachants
“Les gens viennent dans l’OASIS pour tout ce qu’ils peuvent y faire. Ils y restent pour ce qu’ils peuvent être.” Cette définition de la réalité virtuelle d’Halliday illustre bien l’un des problèmes de Ready Player One : les avatars mis en scène ne sont qu’une façade des vrais personnages. Dans une interview au Point, Spielberg s’inquiétait d’ailleurs de la perte émotionnelle liée à l’aspect numérique de ses comédiens : “En général, dans la translation entre l'acteur et son équivalent en motion capture, on perd 40% en termes d'authenticité et d'émotion.” Et le cinéaste de vanter sa production : “Mais moi je voulais garder les 100%, je voulais retrouver dans le monde digital l'intégralité de ce que les acteurs me donnaient dans la vraie vie.” Difficile toutefois de s’attacher à Wade Watts & cie en raison de ces allers-retours incessants entre les personnages réels et leurs avatars.
Dommage, aussi, que Spielberg, qui s'est tant attaché à l'enfance des classes moyennes américaines, n’ait pas conservé dans son scénario une idée intéressante et tout à fait spielbergienne du livre d’Ernest Cline : dans le roman, la première clef de la chasse à l’œuf d’Halliday est cachée sur Ludus, une planète dédiée à l’école publique. Ce qui permet à un lycéen sans-le-sou de devenir le héros de cette aventure et de s’arracher à sa condition sociale.