La couverture détonne par rapport aux canons des éditeurs franco-belges. Une étendue de sable en bas. Une falaise rose en haut. Sur laquelle est garée une camionnette fatiguée. Et en plein milieu, en tout petit, un homme, la cinquantaine, la chemise ouverte sur un torse poilu et un début de bedaine, le regard dans le vague, qui s'interroge. Réussite esthétique, et formidable résumé de l'album Le Retour, brillant et inclassable, réalisé par Bruno Duhamel.
De quoi ça parle ?
Le pitch de départ : le sculpteur Cristobal, dont les bronzes s'arrachent à coups de chèques à sept chiffres, revient un jour sur son île natale. Il l'a quittée pauvre, il la redécouvre pauvre, mais avec des promoteurs immobiliers occupés à bétonner le littoral pour attirer la classe moyenne occidentale désireuse de bronzer à moindre frais. Un outrage insupportable pour le sculpteur, qui va contre-attaquer en façonnant son île comme une immense oeuvre d'art, aidé par ses amis artistes de l'intelligentsia new-yorkaise. Sur le papier, ça avait tout pour réussir. Sur le terrain, en revanche...
Ce récit se double d'une passionnante enquête policière... sur la mort de Cristobal, des années plus tard. Confiée à un inspecteur tenace, mais fortement incité par son supérieur hiérarchique à mener son enquête le plus discrètement possible pour ne pas effaroucher la classe dominante de l'île et les promoteurs qui rôdent autour du cadavre de l'artiste.
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Pourquoi on adore ?
Ces deux intrigues mélangées (parfaitement identifiables, le présent en grisé, le passé en couleur, choix hautement symbolique) forment un album passionnant, excellent divertissement qui laisse à penser sur les dérives ultralibérales de la société actuelle et des ravages du tourisme de masse. Sans que Le Retour tourne au pamphlet altermondialiste, car la communauté autogérée des artistes va rapidement voler en éclats. C'est aussi une réflexion sur le rôle de l'artiste, soi-disant au-dessus de la mêlée, mais pas forcément très inspiré quand il doit mettre les mains dans le cambouis.
Le lecteur curieux finira sa lecture sur Google, à la recherche de l'histoire de César Manrique, lointain inspirateur de Cristobal. Un sculpteur qui a vraiment façonné son île de Lanzarote, dans les Canaries (Espagne), pour lui épargner d'être défigurée par les promoteurs. Lui ne finira pas assassiné dans des circonstances mystérieuses.
Echaudé par l'arrêt brutal de sa (formidable) série Les Brigades du temps, Bruno Duhamel avait failli raccrocher les pinceaux. Heureusement qu'il n'en a rien fait. Un passage réussi par l'autoédition plus tard – les 1000 exemplaires de son remarquable Voyage d'Abel se sont arrachés – et il s'attelait à son premier album solo. C'est une réussite, plus durable qu'une sculpture de Cristobal.
Le Retour de Bruno Duhamel, coll. Grand Angle chez Bamboo éd., 96 pages, environ 19 euros.