C’est avec une certaine appréhension qu’on se rendait à la projection du film Seuls, de David Moreau. Non pas qu’on doutait du réalisateur (à qui l'on doit Ils, The Eye et 20 ans d'écart), du scénario ou de la matière première. Mais il paraissait difficile d’adapter sur grand écran une BD, certes formidable, mais dont l’aura repose aussi sur les mystères élucidés au compte-gouttes lors des dix premiers albums (sur une vingtaine prévus) que compte la saga. Les amateurs de Games of Thrones connaissent ça, mais l’œuvre de George R. R. Martin était autrement plus avancée quand la télévision s’en est emparée.
Environ 90 minutes plus tard (une durée appréciable quand Hollywood a tendance à tirer à la ligne), on sort rassuré. Seuls est un bon film… et pour cela, il a dû trahir la BD. En forçant, par exemple, le trait de certains personnages (notamment Dodji, le grand-Black-de-cité-à-sweat-à-capuche, beaucoup plus "caillera" que dans la BD). En donnant aussi un long aperçu du passé de Leïla, l’héroïne de ce premier volet, alors que la BD se montrait beaucoup plus succinte et dévoilait des bribes de la vie de chaque personnage. En révélant surtout en une demi-heure des secrets que les fans de la BD ont attendu de longues années, comme le visage de celui qui se cache sous le masque du maître des couteaux. Et en donnant au long métrage un côté "film de survie" plus marqué que dans la BD.
Une petite dose de trahison, et une grande louche de suspense
Fabien Vehlmann, le scénariste de la BD, expliquait avoir laissé toute latitude au réalisateur pour adapter son album. Adapter, c’est forcément trahir un peu : les (rares) bonnes adaptations de BD au cinéma ont pris souvent leur distance avec l’œuvre de papier. Le scénariste du comics DMZ, Brian Wood, expliquait, dans une interview, (publiée à la fin de la première intégrale française) avoir planché sur une série télé basée sur son histoire. "C'était un exercice sympathique de modifier l'histoire en cours avec les contraintes d'une série télévisée telles qu'on me les avait décrites. J'ai dû modifier un million de choses..." Il avait décidé d’accorder beaucoup plus d’importance à un personnage que l’on ne voit qu’une quinzaine de pages dans la BD. Le fait qu’il s’agisse de médias à la temporalité différente oblige ce genre de concessions…
Un vrai bon film fantastique
Moralité : si vous avez aimé la BD, courez voir le film, vous ne serez pas déçus. Et si vous ne connaissez pas la BD, allez voir le film pour vous convaincre que le cinéma français ne pond pas que des comédies sur des trentenaires parisiens en crise existentielle. Un bon thriller à suspense avec des acteurs, certes jeunes, mais qui évitent de surjouer façon Macaulay Culkin dans Maman, j’ai raté l’avion. Quelques scènes peuvent cependant impressionner les plus jeunes fans de la BD. Le sang fait moins peur sur papier que bien visible en plein milieu d’un écran de 15 m.
Seuls, de David Moreau, au cinéma le 8 février 2017.