Festival de la BD d'Angoulême 2016 : on a imaginé le futur palmarès

La 43e édition du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême dévoilera le 30 janvier prochain son palmarès. Chez Pop Up’, on a lu presque tous les albums sélectionnés (soixante-deux tout de même, toutes sélections confondues) et du coup, on a une petite idée de ce que serait pour nous le palmarès idéal. Un mélange de fantasme, de croisement de doigts et de Madame Irma plus tard, voici nos prédictions.

Fauve d’Or – Prix du meilleur album

Récompense suprême, le Fauve d’or distingue le meilleur album publié en langue française l’année passée, sans distinction de genre, de style ou d’origine géographique. Il est décerné par un jury (présidé cette année par le gagnant du Fauve d'or 2013, Antonin Baudry, alias Abel Lanzac, auteur de Quai d'Orsay) parmi une sélection officielle de quarante albums. Les trois derniers Fauve d’or ont récompensé des auteurs français et selon nos prédictions, cela devrait encore se reproduire.

Qui mérite de gagner ? Carnet de santé foireuse de Pozla

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Atteint de la maladie de Crohn, une inflammation chronique des intestins, Pozla enchaîne erreurs de diagnostic, hospitalisations et opérations chirurgicales à répétition. Aujourd'hui en rémission, il revient dans Carnet de santé foireuse (éd. Delcourt) sur son douloureux parcours de santé. Hanté par ses tripes (il se représente en intestin géant), l'auteur raconte non sans humour une vie de chiottes (au sens propre) où la merde tient le second rôle. Ça pourrait être scabreux, mais c'est sans compter sur la dérision dont fait preuve Pozla. Un carnet aussi indispensable qu'empathique.

Qui pourrait gagner (mais on n'y croit pas trop) ? Le Piano oriental de Zeïna Abirached

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Beyrouth, 1960. Abdallah Chahine cherche le moyen de modifier son piano pour y intégrer les quarts de ton, indispensables pour jouer de la musique orientale. Inspiré par la vie d'un aïeul de l'auteure franco-libanaise, Zeïna Abirached, ce récit, aux éditions Casterman, tout en noir et blanc, bourré d'astuces graphiques, est surtout une brillante métaphore sur la rencontre entre deux cultures qui cohabitent, l'Orient et l'Occident.

Qui va gagner ? Cher pays de notre enfance de Benoît Collombat et Etienne Davodeau

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Couronné en 2013 pour le second tome de Quai d'Orsay, le président du jury de la sélection officielle devrait, fort logiquement, adouber cette enquête menée par le journaliste de France Inter, Benoit Collombat, et le dessinateur Etienne Davodeau. Une plongée dans "les années de plomb" de la Ve République, marquées par de nombreuses affaires judiciaires jamais résolues, de l'affaire Boulin à l'assassinat du juge Renaud. Plus spécifiquement, Cher pays de notre enfance (éd. Futuropolis) s'intéresse de près au SAC (Service d'Action Civique), la milice de mouvance gaulliste soupçonnée d'être à l'origine de nombreux crimes. Un ouvrage dense et passionnant, un peu comme si Mediapart se mettait à la BD.

Fauve d’Angoulême – Prix spécial du jury

Comme le précise le règlement, le Prix spécial du jury récompense un ouvrage "sur lequel le jury a particulièrement souhaité attirer l’attention du public, pour ses qualités narratives, graphiques et/ou l’originalité de ses choix". Du coup, on part plutôt là-dessus :

Qui mérite de gagner ? Catharsis de Luz

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On a déjà dit tout le bien qu'on pensait de Catharsis (éd. Futuropolis), le bouleversant journal intime de ce "survivant" de la tuerie de Charlie Hebdo survenue le 7 janvier 2015. Depuis, l'album de Luz a rencontré un vif succès public (93 000 exemplaires tirés en 2015) et remporté le prix France Info de la bande dessinée d'actualité et de reportage 2016. Un Prix spécial à Angoulême serait donc une suite logique.

Qui pourrait gagner (mais on n'y croit pas trop) ? Une étoile tranquille de Pietro Scarnera

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La biographie dessinée est un exercice compliqué mais ce "portrait sentimental de Primo Levi" imaginé par l'Italien Pietro Scarnera est un petit bijou de justesse. Centré sur l'œuvre de ce célèbre rescapé d'Auschwitz, Une étoile tranquille (éd. Rackham) retrace le parcours de l'homme qui a successivement eu trois identités distinctes (témoin, chimiste, écrivain). Pour y parvenir, Scarnera se rend à Turin (Italie) et emboîte le pas de Levi, près de soixante-dix ans après son retour du camp. Un road-movie instructif qui éclaire le lecteur sur l'œuvre littéraire protéiforme de l'auteur de Si c'est un homme.

Qui va gagner ? Ici de Richard McGuire

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Avec Ici (éd. Gallimard), Richard McGuire se confronte aux limites de l'exercice de la bande dessinée. Son idée est simplissime : planter un décor unique (un salon typiquement américain) pendant 304 pages et imaginer l'histoire de cette pièce au fil du temps, de la préhistoire à l'an 2314. En 304 dates-clés, Richard McGuire retrace donc, grâce à d'astucieux collages et autres dessins à l'aquarelle, l'histoire de l'humanité. Une ambition qui devrait logiquement lui valoir un prix.

Fauve d’Angoulême – Prix de la série

Ce prix récompense "une œuvre développée sur au moins trois volumes". Mais cette année, la liste des œuvres répondant à ce critère se compte presque sur les doigts d'une main.

Qui mérite de gagner ? Saga – tome 4 de Fiona Staples et Brian K. Vaughan

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Reparti bredouille des deux éditions précédentes du FIBD, le space opera le plus dingue de la BD, aux éditions Urban Comics, tente à nouveau sa chance cette année. Pendant ce temps-là, de l'autre côté de l'Atlantique, la série imaginée par Brian K. Vaughan et Fiona Staples (dont le cinquième tome, sorti également en 2015 n'a pas été retenu pour cette sélection) a obtenu pour la troisième fois consécutive l'Eisner de la meilleure série. Un tel affront se doit d'être réparé tant cette série aussi cinglée que drôle est une des plus belle réussite parmi les comics sortis ces cinq dernières années.

Qui pourrait gagner (mais on n'y croit pas trop) ? Chiisakobé – tome 1 de Minetaro Mochizuki

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Alors oui, il n'y a pour l'instant qu'un tome de sorti en France (sur un total de quatre) mais une petite entorse au règlement nous permettrait de couronner enfin une œuvre du Japonais Minetarô Mochizuki, auteur multi-récompensé dans son pays. Avec Chiisakobé (éd. Le Lézard noir), le mangaka de 51 ans livre un recueil ultra poétique grâce à un trait totalement épuré et un découpage très cinématographique. En racontant la reconstruction d’un jeune charpentier aux allures de hipster qui fait face au décès de ses parents en reprenant l’entreprise familiale, Chiisakobé transforme le silence en ode à la beauté zen du Japon contemporain.

Qui va gagner ? Tumultes de Hugues Micol

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Ce n'est pas vraiment une série mais plutôt un triptyque que vient clore Tumultes (éd. Cornélius) après Romanji (2001) et Séquelles (2008). Le dénominateur commun à toutes ces œuvres : leur univers hallucinant où l'on croise, entre autres, un gourou avec la tête à l'envers, un silure doté de dents humaines et un savant nain. Bref, du grand n'importe quoi surréaliste qui pourrait plaire au jury dans cette catégorie.

Fauve d’Angoulême – Prix révélation

Ce prix distingue l’œuvre d’un auteur en début de parcours artistique. Il récompense fréquemment des petites maisons d’édition.

Qui mérite de gagner ? Est-ce qu'on pourrait parler d'autre chose ? de Roz Chast

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Avant d'être illustratrice pour The New Yorker, Roz Chast est la fille unique d'un couple de juifs new-yorkais au caractère bien trempé qui vit depuis cinquante ans dans le même appartement de Brooklyn. Et un jour, l'inéluctable auquel personne ne voulait penser finit par arriver : ils vieillissent. Confrontée à leur inexorable fin de vie, Roz Chast entame un journal de bord où elle raconte cette longue déchéance. Sur près de 250 pages, cet inclassable roman graphique (éd. Gallimard) nous emmène visiter la décrépitude dans ce qu'elle a de plus concret et sordide. Un récit macabre génialement porté par un humour à la Woody Allen décomplexé. En se mettant complètement à nu, l'auteur transforme ce sujet tabou, mais universel en guide de survie indispensable et magnifique.

Qui pourrait gagner (mais on n'y croit pas trop) ? Murderabilia d'Alvaro Ortiz

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Vous l'ignorez peut-être mais il existe des gens qui collectionnent des objets ayant appartenu à des tueurs en série. Ces objets sont désignés sous le terme "murderabilia", un mot-valise construit à partir des termes latin memorabilia ("souvenirs") et de l'anglais murder ("meurtre"). Dans un camaïeu de rose, l'Espagnol Alvaro Ortiz nous raconte l'histoire de Malmö Rodriguez, un jeune chômeur de 23 ans, qui décide de vendre les deux chats de son oncle à un collectionneur de "murderabilia". Ces derniers ont la particularité morbide d'avoir dévoré leur maître après une mortelle crise cardiaque. En combinant propos macabre et vignettes colorées, Ortiz réussit un joli album édité par Rackham complètement décalé.

Qui va gagner ? Les Intrus d'Adrian Tomine

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Adrian Tomine n'est certes pas un inconnu mais ce dessinateur américain, souvent comparé à Daniel Clowes (David Boring) se fait rare. Avec Les Intrus (éd. Cornélius), une compilation de six nouvelles dessinées, Tomine dresse un portrait du mal-être contemporain. Les histoires de ce jeune bègue qui s'obstine à faire du stand-up ou de cette femme, sosie d'une actrice porno, sont autant de récits pathétiques que l'auteur met en scène avec son trait minimaliste et ses couleurs pastel caractéristique. Une douceur toute relative qui ne parvient jamais vraiment à adoucir la violence du propos.

Fauve d’Angoulême – Prix jeunesse

Ce prix récompense une œuvre plus particulièrement destinée au jeune public. Cette année, dix albums sont en compétition dans cette sélection et c'est un jury composé d'enfants de 8 à 12 ans qui décernera ce prix.

Qui mérite de gagner ? Le Grand méchant renard de Benjamin Renner

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Récemment récompensé par le public avec le prix BD Fnac 2016, Le Grand méchant renard (éd. Delcourt) n'est en compétition à Angoulême que dans la sélection jeunesse. Un choix qui peut surprendre tant la BD de Benjamin Renner est un bijou d'humour qui fera marrer les adultes autant que les enfants. Mais le festival a décidé qu'un renard suffisait amplement et c'est La Renarde de Marine Blandin et Sébastien Chrisostome (une bête bien plus cynique que notre rouquin malingre) qui se retrouve en sélection officielle. Dommage, ce renard malchanceux qui se découvre un instinct maternel avec des poussins méritait peut-être mieux.

Qui pourrait gagner (mais on n'y croit pas trop) ? A Silent voice – tome 1 de Yoshitoki Oima

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Coup de cœur pour ce manga destiné autant aux petits qu'aux grands. En s'attaquant aux thèmes délicats que sont le harcèlement scolaire et le handicap (l'héroïne est muette), A Silent voice (éd. Ki-Oon) évite les clichés et tape juste. Emouvant sans jamais être mièvre, ce premier tome conçu comme un one-shot est en fait une série de sept volumes dont la conclusion reste à paraître. Une intelligente façon de confronter les enfants à leurs peurs et leurs accès de cruauté.

Qui va gagner ? Victor & Clint de Marion Duclos

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Une plongée touchante dans l'imaginaire de Victor, un jeune garçon un peu solitaire qui vit des aventures extraordinaires lorsqu'il coiffe son Stetson et se mue alors en Clint le cow-boy. Avec une grande justesse, Victor & Clint (éd. La Boîte à Bulles) traite tout un pan des problématiques adolescentes, des relations parfois conflictuelles avec ses parents à l'amitié en passant par la perte d'un être cher.

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A Angoulême, c'est un jury de personnalités qui désignera parmi cette sélection Polar de cinq albums le vainqueur du prix qui récompense un polar en bande dessinée, original ou adapté d’une œuvre littéraire.

Qui mérite de gagner ? Inspecteur Kurokôchi – tome 1 de Takashi Nagasaki et Kôji Kôno

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Né dans l'esprit du célèbre Takashi Nagasaki (Master KeatonBilly Bat), Kurokôchi est un flic ripou aux méthodes fort peu conventionnelles. Chantage, pots-de-vin, meurtre, l'inspecteur lippu se permet tout, même lorsqu'on lui adjoint une bleusaille pour surveiller ses activités. Mais si c'était pour une cause plus grande que lui ? Un premier tome, aux éditions Komikku, qui plante le décor d'un polar haletant (seul vrai polar de cette sélection, d'ailleurs) qui nous plonge au cœur des magouilles politico-financières du Japon d'aujourd'hui.

Qui pourrait gagner (mais on n'y croit pas trop) ? Southern Bastards – tome 1 de Jason Aaron et Jason Latour

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Revenu en Alabama pour vendre la maison familiale, Earl Tubb s'embrouille bêtement avec quelques brutes locales. Ce qui ne devait être qu'un aller-retour aux sources express se transforme alors en week-end de baston où les battes de baseball occupent une place centrale. Un western contemporain cru et moite, édité par Urban Comics, dont la lecture s'avère aussi prenante qu'éprouvante. Les fans de Michael Mann apprécieront.

Qui va gagner ? Undertaker - Le Mangeur d'or de Ralph Meyer et Xavier Dorison

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Et si un western gagnait le prix du polar ? Dans ce premier tome d'Undertaker (le deuxième est sorti chez Dargaud le 25 novembre dernier), on fait connaissance avec Jonas Crow, un croque-mort ambulant confronté à un cadavre rempli de pépites d'or. Un album qui ravira (au moins graphiquement) les fans de Blueberry et sûrement les membres de ce jury particulier.

Et enfin, parmi nos autres coups de cœur qu'on aimerait aussi voir primer (sans trop d'espoir) : La Favorite de Mathias Lehmann (éd. Actes Sud), La Fille de la plage d'Inio Asano (éd. IMHO), La République du Catch d'Etienne de Crécy (éd. Casterman) et Vive la Marée de David Prudhomme et Pascal Rabaté (éd. Futuropolis). Tous ces prix seront remis lors d'une cérémonie le 30 janvier prochain à Angoulême (Charente).