Le Joker, 75 ans et toutes ses dents

Qui a dit que les plaisanteries les plus courtes étaient les meilleures ? Certainement pas le Joker, qui fête cette année ses 75 ans et qui rythme les aventures de Batman depuis sa création avec ses blagues aussi grotesques que meurtrières. Au fil des années, ce personnage haut en couleur s'est imposé comme une figure majeure du mal dans l'univers des DC Comics.

Mais sa personnalité, ses crimes et son look unique en ont fait une icône de la pop culture qui a su traverser les années sans jamais passer de mode. Que ce soit dans les comics sous les crayons de grands dessinateurs comme Frank Miller ou Alan Moore, en passant par le cinéma, les séries télé ou les jeux vidéo, le Joker a bien changé depuis sa création en 1940. Pop Up' revient sur l'évolution de ce personnage charismatique en compagnie de Yann Graf, éditeur chez Urban Comics et maître d’œuvre de l'ouvrage Joker Anthologie sortie cette année.

"Batman contre le Joker" (1940) : la naissance du mythe

TM & ©2014 DC Comics. All rights reserved. Urban Comics pour la version française

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Pour le lancement au printemps 1940 du premier numéro de Batman, les auteurs de l'époque doivent trouver un méchant à la mesure du Cape Cruisader. Et c'est en créant son parfait opposé qu'il vont y parvenir. Alors que Batman est vêtu d'un costume sombre, agit dans l'ombre, de façon calculée et porte un masque, son ennemie portera un costume violet, affichera son visage blanc au grand jour et chacun de ses méfaits sera un coup d'éclat qu'il cherchera à médiatiser.

Pour dessiner le Joker, Bob Kane et Jerry Robinson se seraient inspirer de l'acteur Conrad Veidt, qui interprète Gwynplaine dans le film muet L'Homme qui rit, d'une affiche d'un parc d'attractions de de Coney Island et de la représentation du Joker dans des cartes à jouer. "Dès le début, il incarne la figure mythique du farceur, du désordre complet, de l'anarchie, explique Yann Graf. Les principaux traits de son look - les cheveux verts, le teint blafard, les lèvres rouges, le costume et le sourire - sont présent dès cette première apparition et seront immubales."

"L'homme au masque rouge" (1951) : les origines du Joker

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Jusque dans les années 1950, aucune référence n'était faite sur les origines des méchants qui peuplaient les Comics, faute de page et donc de place. Mais au tournant de cette décennie, les auteurs de Batman décident de rationaliser leur univers et se penchent sur le passé du Joker. C'est dans cet épisode que l'on découvre pourquoi le Clown Prince du crime affiche ce teint de craie et ces cheveux verts.

"La Ceinture à gadgets du Joker" (1952) : les bases de la série TV

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Cet épisode est représentatif de la période classique de la série dont le look et les aventures vont influencer la série télé qui sera diffusée de 1966-1968. De quoi donner les bases à l'acteur Cesar Romero pour interpréter le Joker pour la première fois à la télé, même s'il avait refusé de raser sa moustache, ce qui obligeait les maquilleurs à a teindre avec de la peinture blanche.

"Les exploits burlesques du Joker" (1965) : première période réaliste

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A cette époque, les traits "cartoon" de l'univers de Batman sont troqués contre un environnement plus réaliste. Le héros de DC Comics se voit ainsi opposer des truands plus terre-à-terre. "Durant les années 1950-1960, le Joker apparaît de moins en moins dans les aventures de Batman et il devient moins effrayant, précise Yann Graf. A l'époque, DC Comics essaie d'adoucir son personnage pour éviter de choquer les Ligues parentales qui commencent à montrer le bout de leur nez."  

"Les cinq vengeances du Joker" (1973) : le retour de l'assassin fou

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Au tournant des années 1970, l'univers de Batman va être débarrassé des éléments les plus fantaisistes pour se replonger dans un monde où les menaces les plus sombres et dangereuses sont mises à l'honneur. Une voie royale pour le Joker. "En 1973 s'opère un véritable tournant pour ce personnage, juge Yann Graf. On retourne aux origines du Joker et à partir de là, les auteurs vont balancer entre le cambrioleur de génie, le tueur imprévisible et l'anarchiste." Et avec l'assouplissement du Comics Code, qui imposait un cahier des charges strictes concernant la représentation des personnages de DC Comics, les auteurs vont se réapproprier le Joker de façon radicale.

"The Dark Knight Returns" (1986) : le côté sombre et décrépit

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Sous la houlette de Frank Miller (Sin City), le Joker connaît un nouveau changement radical. Dans une Gotham en pleine déliquescence, le Clown Prince du Crime apparait avec des traits vieillis et adopte un look différent délaissant son traditionnel costume violet. "Il adopte un côté un peu androgyne propre aux rocks stars des années 1980, pointe Yann Graf. En le représentant avec du maquillage et du rouge à lèvres, Frank Miller tente de jouer les opposés avec son Batman massif et viril." Pas de quoi adoucir non plus le Joker qui fait preuve d'une cruauté grandissante et désespérée.

"Killing Joke" (1988) et "Un deuil dans la famille" (1989) : la démence et le point de non retour

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Quand Alan Moore (The Watchmen) décide de s'attaquer au Joker, le résultat est glaçant. Non seulement le personnage devient plus réaliste mais sa folie et ses crimes ne font qu'empirer avec, notamment, une scène de viol implicite quand il s'attaque à la fille du commissaire Gordon. "Avec Killing Joke, on est dans la représentation d'une figure mythique du désordre complet, de l'anarchiste, souligne Yann Graf. Alan Moore estimait d'ailleurs que le Joker, lors de sa création, était le premier punk 30 ans avant la naissance du mouvement."

Un an plus tard, dans Un deuil dans la famille, le Joker lie définitivement son destin à la folie sanguinaire et à Batman en tuant Robin. Un crime en forme de point de non-retour.

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"Batman, le défi" (1989) : Jack Nicholson est mort de rire

Pour la première adaptation sur grand écran des aventures de Batman, réalisée par Tim Burton, impossible de ne pas convoquer le plus grand ennemi du Cap Cruisader. Et c'est Jack Nicholson qui est choisi pour incarner le Joker. Un rôle qui a tout d'une évidence pour acteur connu pour ses rôles déjantés (Vol au dessus d'un nid de coucou, Shinning).

"Rires dans la nuit" (1994) : la synthèse de multiples versions du Joker

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Comme le rappelle Yann Graf, la série animée Batman, débutée dans les années 1990, a marqué un tournant stylistique dans l'animation américaine. Et dans ce show destiné à plaire au-delà du jeune public, les auteurs réussissent à réaliser une synthèse des différentes périodes artistiques du Joker. "Et ils sont même parvenus à le relier à ses origines grâce au dessin-animé Batman contre le fantôme masqué en 1993", rappelle le maître d’œuvre de l'ouvrage Joker Anthologie.

"L'homme qui rit" (2005) : l'humour noir

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Dans cet album "one-shot", les auteurs exécutent un retour aux traits fins de Killing Joke et l'atmosphère est un hommage au Dark Knight Returns de Frank Miller. L'escalade de violences et l'ambiance poisseuse instaurées par le Joker dans la ville de Gotham inspirera Christopher Nolan au moment de réaliser son Dark Knight.

"The Dark Knight" (2008) : Heath Ledger transcende son personnage

Difficile de croire à l'époque qu'un acteur serait capable de surpasser la prestation de Jack Nicholson en Joker dans le Batman de Tim Burton. Et pourtant. Grâce à Heath Ledger, Christopher Nolan livre avec The Dark Knight une des visions les plus marquantes du Joker. Fou, anarchiste, meurtrier, inquiétant, mystérieux, insaisissable... Ce Joker crève l'écran. La performance d'Heath Ledger est telle qu'il recevra, à titre posthume, un Oscar du meilleur second rôle.

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Représenté comme un gangster aux origines inconnues, ce Joker est grossièrement maquillé, a des cheveux sales et affiche un sourire renforcé par de larges cicatrices boursouflées. Une idée déjà explorée par Tim Burton mais pas dans les mêmes proportions. A noter que l'année suivante, le roman graphique Joker, reprendra la même représentation que celle du film, "sans qu'il y ait d'influences réciproques car le comics avait été mis en chantier avant la sortie du film", souligne Yann Graf.

"Batman Arkham Asylum" (2009) : le Joker au manette

Après les comics, la télé, les dessins-animés et le cinéma, c'est au tour des jeux vidéo de mettre le Joker à l'honneur. Dans Batman Arkham Asylum, le Prince Clown du Crime est le boss final de ce titre très réussi sur consoles Xbox 360 et PS3. Deux autres épisodes, tout aussi réussis, Batman Arkham City (2011) et Batman Arkham Origins (2013) suivront avec toujours le Joker comme grand méchant. Ce dernier affiche un look toujours aussi malfaisant mais prendra aussi une apparence inédite en se transformant en une bête gigantesque bête mutante à la suite d'une injection d'un produit spécial.

"Le deuil de la famille" (2013) : la vengeance à un visage

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Dans cet épisode qui fait suite à La Cour des Hiboux, le Joker est représenté de façon inédite. Après avoir été découpé par un personnage nommé le Taxidermiste, le Joker récupère son visage après un an d'absence et se l'accroche grossièrement sur la tête avec comme ambition de remotiver un Batman qu'il trouve encroûté. Vêtu d'une combinaison de garagiste, il fait preuve d'une violence inouïe et semble plus fou que jamais. "Le Joker est un miroir de notre société, plus elle est violente et agressive, plus il déchaîne ses pulsions, et son physique se durcit, il y a un effet de vases communicant, analyse Yann Graf. Dans une société sous pression, il représente les peurs et les aspirations des gens qui rêvent tous de jouir d'une plus grande liberté."

"Suicide Squad" (2016) : un Joker dernier cri ?

C'est la dernière adaptation en date. Huit ans après Heath Ledger, c'est au tour Jared Leto d'incarner le Joker dans le film Suicide Squad, qui sortira en salle le 17 août 2016. Longtemps entourée de mystère et rumeurs, cette nouvelle interprétation du Clown Prince du Crime au cinéma a été dévoilée samedi 25 avril via un tweet du réalisateur du film David Ayer.

Sur cette photo, Jared Leto incarne un Joker tatoué et maquillé qui a suscité pas mal de critiques et détournement sur le web. "La représentation du Joker a toujours été un sujet de polémique, relève Yann Graf. Mais c'est normal car tout le monde a sa propre représentation de ce personnage."